Le Centre culturel français a renoué l'espace dans l'après-midi d'hier avec la poésie. Le public n'a pas été, loin s'en faut, au rendez-vous de cette manifestation, dont le premier coup de manivelle a été donné la semaine dernière. « C'est la preuve patente que la poésie n'a pas intégré les mentalités du gros des Algériens et ce n'est nullement la faute aux organisateurs », s'étonnera, amer, un présent. Cependant, cette désaffection n'a pas empêché les 5 poètes de faire partager leur plaisir aux quelques habitués, renfrognés à se laisser envahir par cette médiocrité insidieuse. Ils feront la lecture de leurs poèmes dans un clair-obscur enjoué de la salle de projection du centre, rappelant ainsi les veillées des guinguettes de Guy de Maupassant Aucun poète n'a démérité, et chacun à sa manière déclamera ses textes avec une joie renouvelée. Ils se « donneront le mot » sur la scène dans une cadence qui ne s'est pas démentie au grand ravissement des quelques assidus. La première à s'y rendre est à y faire entendre une voix chaleureuse nous rappelle par moments Edith Piaf est Malika Tablit. Ses textes sont pleins de la ténacité réaffirmée de la femme à tous les asservissements d'où qu'ils viennent. Toutefois, elle saura se « donner » au seul homme qui a su la ravir. « Pourquoi lui ? », ne cessait-elle d'adjurer. « Parce que c'est lui et parce que c'est elle », répondra-t-elle dans un ultime souffle. Chantal Danjou, un bout de femme toute chétive, a pris par la suite la relève. Elle nous fera remarquer qu'Alger est sa terre natale et qu'elle n'y est revenue qu'à la faveur de ce récital. Elle lira des poèmes ciselés dans le fer et sentant la Méditerranée aux « illuminations noires ». Elle fera savoir que Tanizaki Junichirô, un écrivain japonais, lui a fait inspiré tout bonnement sa plaquette de poésie sentant le pays du Soleil Levant. Le recueil intitulé Toko No Ma où s'entrelace, dans des étreintes ardentes, le mot juste ; la calligraphie est un condensé de choses heureuses. « Ses rêveries » dans les enclos fleuris fut interrompu, nous rappelle-t-elle, par l'hécatombe irakienne. Dans les chambres obscures, l'urne aux amours mortes. Au lieu de cendres, des pétales et des feux de broussaille. Un vol d'oiseau. Très lent. Traverse le verre. Se pencher, oh ! Un nu couché dans les asphodèles. L'autre ébahissement heureux nous est venu d'Ismaïl Abdoun, enseignant à la faculté de lettres de Bouzaréah. Il saura nous faire voir, par le truchement de ses digressions utiles, « un âge que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître ». L'homme, à l'entendre déclamer ses mots, n'est pas tout compte fait revenu de ses anciennes convictions où il voulait, suprême ingéniosité, faire marier en sa personne Marx et Rimbaud. Ses disciples venus l'écouter en sont venus à changer leurs appréciations toutes faites sur l'enseignant de l'Ile. Il s'épanchera dans ses vers bien emplis et une autre facette s'est fait jour où surgira un autre Abdou plus enjoué. Le poète ne s'est pas départi de son métier de conférencier et se développera sur le contexte de ses textes. Son poème Palma publié dans la revue Souffle est un émerveillement pour les sens. Extraits. Je ne dormirai pas. Je ne dormirai plus. L'insomnie terrain des clartés seule pourra m'aider à crever l'obstacle des monstres. Juste le temps de faire le bilan, juste le temps de retraverser la lice brûlante jusqu'à la source de ma préhistoire nourricière... La mimique de H'mida Layachi, quant à lui, fera arracher des rires entendus aux spectateurs. Ses envolées soufies sont d'une saveur qui font oublier le journaliste. Il fera en cela participer les présents à sa complainte qui finit... dans un sceau. Ibn El Arabi appréciera à non point douter. Jean Claude Villain déclamera, avec Inaïm Bayoud, des passages de ses vers. Vivant dans le sud de la France, l'ingénieux poète publiera de nombreux livres. Dans l'un d'entre eux, intitulé Le monde est beau et nous avons des yeux pour voir, il dira : « Je me souviens qu'au commencement, dit-on, était la parole, et donc qu'à la fin, sera peut-être le silence. »