C'est, indiscutablement, un livre magistral et une belle histoire d'amour, que vient d'éditer, en France, le Docteur en psychiatrie et non moins romancier, Mohand Soulali, sur la base d'une étude approfondie des textes du poète et chanteur kabyle, Cheikh El Hasnaoui. Le roman est un vrai coup de cœur admirablement écrit dans un style peu commun. A défaut d'utiliser le passé simple et l'imparfait de l'indicatif, temps du récit par excellence, l'auteur a choisi le présent de narration comme pour donner vie à son œuvre et prêter un relief particulier à l'histoire, en la rendant plus présente à l'esprit du lecteur. Le roman assez volumineux est un régal de lecture difficile à interrompre quand on l'entame. Le livre, préfacé par l'écrivaine et ethnologue française, Camille Lacoste-Dujardin, est un véritable hommage posthume au chantre de la chanson kabyle et chaâbi, Cheikh El Hasnaoui, de son vrai nom Mohamed Khelouat, qui, à travers son répertoire inédit de 29 chansons, a marqué d'une pierre blanche le paysage artistique de l'Algérie en général et de la Kabylie en particulier. Ce roman est une histoire d'amour. C'est l'histoire de deux êtres qui s'aiment, qui se désirent et qui projettent de s'unir. Muhend (narrateur) alias Cheikh El Hasnaoui d'une part et d'autre part, Fadma, sa dulcinée, s'échangent à distance des messages d'amour à travers la poésie chantée. Cette histoire est un combat entre le ravissement d'être aimée et l'angoisse de ne plus l'être, le plaisir et l'inquiétude, les émotions et les contingences quotidiennes. L'auteur pense que «l'amour ne se dit pas, l'amour ne se décrit pas… l'amour se vit». Tout au long de l'histoire, par l'entremise de ses chansons, Muhend était en éternelle communication avec Fadma : du départ (séparation) au non-retour (il ne revient pas) en passant par l'exil et l'appel au retour. Au départ, il lui demande et lui propose en toute liberté de donner son avis et de décider d'elle-même, il l'interroge : «Ma Tebghidiyi Nekk Bghigh, Ma Yehwa Yam Yidhem Digh.» Rapidement gagnés par la passion, les deux acteurs de cette histoire d'amour vont se consumer, à force de mots et leurs échos, leurs pulsations, leurs miasmes, leurs déchirures. Puis vint le départ. Le Cheikh, narrateur de l'histoire d'amour, conjugue, mieux que personne, le verbe ‘‘Ruh'' à toutes les personnes et à tous les temps. Cependant, au préambule du départ, l'aller anime le retour : «Ad Ruhegh Ad Ruhegh Sslamaw ar d Ughalagh». Il promet à Fadma de revenir la conquérir. Mais l'histoire, c'est l'éternelle souffrance entre les deux amoureux. L'exil, l'absence et l'éloignement sont synonymes de mort. Fadma voit, ainsi, son amoureux exilé, partir, s'éloigner et disparaître. «Ruh Ay Ahbibiw Ruh». Que peut-on dire sur l'amour et ce qu'il nous fait faire, sur la passion et l'aliénation, sur l'art de dire et de ne pas dire dans les projections d'un couple, sur la société et son code des passions ? Muhend ressent la douleur de ne pas pouvoir retourner au pays. Il le dit dans sa chanson : Llah Llah Aqlagh Nesvek Yela Rebi Aghisselek. Puis il projette : Ah An Dara Tsafagh Tahvivthiw hamlagh . Il continue toujours d'aimer Fadma à la folie à la jalousie. Mais voilà que tout bascule : «Muhend est absent loin de fadma (la femme chantée), mais voilà que Muhend devenu Simon, est présent, main dans la main, près de Denise, une Française enchantée pudiquement. Le poète médite l'amour de la «femme interdite». A bien des égards, le travail passionnant de Mohand Soulali est à saluer, car il réussit une prouesse rare : il sauvegarde superbement des pans entiers de la mémoire artistique et philosophique de l'artiste disparu, d'une région ou d'un pays. L'ouvrage, édité en France aux Editions franco-berbères, sera disponible en Algérie en octobre prochain, lors du prochain Salon du livre. Une histoire d'amour 248 pages. Prix France : 19,50 euros