On peut le qualifier de précurseur de la poésie d'amour chantée. L'organisation d'un colloque sur la vie et l'oeuvre de cheikh El Hasnaoui ne sera qu'un hommage au maître, point une occasion pour faire redécouvrir son oeuvre. El Hasnaoui, en dépit de son retrait total de la scène artistique depuis la fin des années soixante, reste l'un des chanteurs les plus écoutés. Quel est le secret d'un succès dont seul l'enfant prodige du village de Taâzibt, près d'Ihesnawen (Tizi Ouzou) détient les clés? Tout simplement son oeuvre artistique. Pourtant, El Hasnaoui n'a guère investi dans la quantité. Comparativement à d'autres artistes de sa trempe, il a peu produit. Peu mais bien. En effet, le mélomane éprouve le même plaisir chaque fois qu'il écoute ses quarante- quatre chansons composées en kabyle et en arabe algérien. Deux points caractérisent El Hasnaoui. Le premier a trait à ses poèmes chantés. Le second est inhérent à sa vie. Concernant ses textes, El Hasnaoui peut être qualifié de précurseur de la poésie d'amour chantée. Il a, en effet, cassé des tabous à une époque où il n'était pas du tout évident de le faire. El Hasnaoui a non seulement osé «s'en prendre» à l'amour mais d'une manière crue. Il a eu le courage de dire les choses telles qu'elles sont sans les farder afin de rester fidèle à une pudeur de façade à laquelle tenait la société de l'époque. Une pudeur factice qui avait pour but de sauvegarder une certaine apparence chaste. Cet artiste hors pair, a par exemple, cité même le prénom de l'aimée «Fadhma». Chose que même certains artistes d'aujourd'hui ne font pas. Toujours dans le volet sentimental, El Hasnaoui est allé jusqu'à vilipender des relations de mariage hors normes comme dans «Ruh a butabani» où un vieillard a l'outrecuidance de convoiter une jeune fille: «Ruh a vutabani/vaadas i tahdayt tugik/ruh a butabani/ vu frizi a gma yifik». El Hasnaoui a aussi abordé des thèmes inhérents au refus des pères de donner la main de leur fille lorsque le prétendant était de condition sociale modeste, notamment «Ma tevghid, nek bghigh». Dans la chanson en arabe, «Zahia», El Hasnaoui s'adonne à une description physique de l'élue de son coeur. Certains passages des textes de cheikh El Hasnaoui ont même été qualifiés d'immoraux et les animateurs de la radio étaient obligés de les censurer. Mais le fait que l'amour soit un thème éternel, il se trouve aujourd'hui que nous entendons les chansons d'El Hasnaoui plus que celles d'autres artistes d'égale valeur qui ont accordé une place infime à ce thème. El Hasnaoui, c'est aussi et surtout le chanteur de l'exil. Il part en France en 1937 et ne revient plus. Ses chansons abordent le thème de l'éloignement de la terre natale avec une sincérité qu'on ne retrouve que rarement chez les autres artistes, à l'exception des maîtres bien entendu, comme Slimane Azem. La plus célèbre est incontestablement «Maison Blanche», car dans cette chanson, le poète décrit les circonstances du départ, un exode massif, qui fait que tous les hommes sont partis. Et qu'il ne reste dans les villages que les femmes. En arabe, c'est «Ya noudjoum elil» qui est la plus connue. Cette chanson est une vraie merveille. El Hasnaoui chante la douleur de la solitude nocturne dans un pays où même le mot amitié est vidé de sa substance. Beaucoup de mystère entoure la vie privée d'El Hasnaoui. Pourquoi son refus catégorique de revenir dans son village natal? Pourquoi cette rupture définitive avec tous les siens? Il refusait de recevoir quiconque le sollicitait pour une simple visite de courtoisie. Un jour, raconte-t-on, un homme frappa à sa porte. Sa femme ouvrit. Le visiteur demanda après El Hasnaoui. Sa femme, restée devant l'hôte, annonça de loin le nom du visiteur. El Hasnaoui répondit à haute voix, de telle sorte que l'homme entendit: «Dis-lui qu'il n'est pas là.»