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Liberté d'expression n'est pas liberté d'outrager
La chronique de Maurice Tarik Ma
Publié dans El Watan le 19 - 09 - 2012

Le film, aussi débile que grossier, du repris de justice américain Nakoula Besseley contre les musulmans est évidemment l'une des manifestations de l'islamophobie générale qui gangrène les pays occidentaux.
Une islamophobie qu'illustrent et renforcent les réactions de leurs médias à propos des manifestations d'indignation qui ont soulevé le Monde arabe. Sous des titres qui englobent l'ensemble des musulmans et les présentent comme une masse furieuse, dangereuse, avide de violence – «Le monde arabe s'embrase», «Colère des musulmans» – journaux, radios, télévisions ont fait une large place aux manifestations que le film a provoquées en Tunisie, en Egypte, au Yémen... : la mise à sac de plusieurs ambassades américaines, l'incendie du consulat de Tunis, des foules hurlantes brûlant le drapeau américain…, les téléspectateurs européens n'ignorent plus rien. Ou plutôt, ils s'imaginent savoir. Car les télévisions leur ont livré des images sans la moindre distance, sans suggérer qu'incendiaires et casseurs ne sont pas représentatifs des peuples arabes, sans aucun commentaire sur la politique des Etats-Unis au Moyen-Orient, sur le soutien qu'ils apportent aux régimes les plus réactionnaires de la région, sur leur défense inconditionnelle d'Israël. Montrer n'est pas neutre, toute image porte un message, illustre et oriente une manière de voir et de juger, le plus souvent partiale.
Les reportages des médias n'ont pu que renforcer la conviction de bien des Européens que les Arabes sont des êtres violents, irrationnels, incapables de se maîtriser et de raison garder. Il est vrai que les Présidents tunisien et égyptien ont condamné la violence de certains manifestants, mais de quel poids peuvent être leurs mots face au choc des photos ? Imprégnés de l'islamophobie rampante des médias, la plupart des reportages n'ont pu que renforcer l'islamophobie du public. Une islamophobie que conforte également le silence d'un certain nombre d'intellectuels. Les plus en vue, les plus médiatisés, ces droits-de-l'hommistes qu'on n'entend jamais s'insurger contre les crimes que commet chaque jour l'armée israélienne, mais qui s'indignent et crient à l'antisémitisme dès qu'on dénonce ses méthodes et la politique d'Israël. Ni Alain Finkielkraut, qui célébra le pamphlet raciste et islamophobe d'Oriana Fallaci La Rage et l'Orgueil, ni Bernard-Henry Lévy qui se garde bien d'intervenir dans un conflit qui le concerne pourtant au premier chef, ni André Glucksman qui n'a d'yeux que pour Poutine qu'il attaque d'article en article, aucun de ces «humanistes» pour qui la défense des droits de l'homme ne concerne que certains hommes n'a protesté contre le film islamophobe de l'Américain.
D'autres font mieux encore, si l'on peut dire : loin d'approuver ouvertement, ce qui abîmerait leur image, les manifestations les plus grossières d'islamophobie telles les caricatures danoises du Prophète, ils les approuvent par la bande, indirectement, au nom de la liberté d'expression qui, disent-ils, doit être totale. Curieuse exigence qui ne se manifeste, de nouveau, qu'à propos des musulmans. Exigence de tartuffes, là encore, qui, se posant en défenseurs de toutes les libertés, incitent et invitent à calomnier l'islam. Car c'est seulement quand il s'agit de l'islam qu'ils postulent le droit absolu de tout dire même des insanités, de tout caricaturer même avec la plus grande vulgarité, le droit, finalement, de ne pas respecter une religion qu'ils ne connaissent pas, ne comprennent pas et qu'ils exècrent. Il ne peut être question, évidemment, de restreindre par la loi la liberté d'expression ni d'appeler au rétablissement de la censure. Toute intervention de l'Etat doit être bannie. Chacun doit avoir le droit imprescriptible de dire et d'écrire ce qu'il veut. Mais cela ne signifie pas qu'il puisse le faire impunément.
Avoir le droit de tout dire n'accorde aucune immunité et ne protège d'aucune poursuite. Tout dépend de la nature de ce qu'on dit, de la façon dont on le dit, du moment où on le dit, des conséquences que ces propos peuvent entraîner. Qu'un athée ait le droit le plus absolu d'exposer ses positions et d'expliquer – comme Spinoza hier ou Michel Onfray aujourd'hui – pourquoi, d'après lui, les religions sont des monuments d'irrationalité mortifère, c'est une évidence. Mais qu'on poursuive en justice un caricaturiste qui peint de façon injurieuse le fondateur d'une religion et déclenche des émeutes n'est nullement une atteinte à la liberté d'expression : c'est la sanction d'un délit. La liberté d'expression n'est pas la liberté d'outrager et il est tout à fait légitime que la victime d'une agression porte plainte. Comme l'écrit Emmauel Todd(1), l'islamophobie est décidément «le mal du siècle présent». Elle imprègne à ce point la mentalité d'un grand nombre d'Occidentaux qu'elle les aveugle, les égare et les incite à dire n'importe quoi.
1)- L'Esprit du temps ou l'islamophobie radicale (Agora Vox)


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