Mohamed-Chérif Abada, 58 ans, est photographe indépendant depuis au moins 33 ans. Il a réalisé un reportage avec la célèbre mission «Le bateau de la paix, Ibn Khaldoun», en 1991.Il était présent lors de la première guerre du Golfe, en Irak. En 2003, il a participé au projet Algérie, regards croisés, un livre consacré à l'architecture méditerranéenne et aux paysages d'Algérie. Il a pris ensuite part au projet «Quantara» de l'Institut du monde arabe (IMA) sur le patrimoine arabo-musulman. Il prépare actuellement une exposition en Espagne sur «l'architecture de terre en Méditerranée».Mohamed-Chérif Abada est également un photographe de plateau. Il a notamment pris des clichés du tournage du film Les vigiles, de Kamel Dahane, une adaptation à l'écran du roman de Tahar Djaout. Mohamed-Chérif Abada est présent à l'exposition «La photographie, 50 ans d'âge» qui se tient jusqu'au 30 octobre au Palais de la culture Imama de Tlemcen. -Cinquante ans après, quel regard portez- vous sur la photographie algérienne ? La photographie a certes évolué, mais il m'est difficile de dire que la relève est bien assurée. Cela dit, les talents existent… Tout n'est pas perdu. -Les anciens du métier ont-ils su transmettre ? Non ! Ils ont échoué. Je ne me considère pas comme étant un ancien. Il y a quelques années, lorsque j'avais rencontré des gens qui m'ont précédé dans le métier, ils ont refusé de me transmettre leur savoir. Peut-être qu'ils n'ont pas su le faire. Ils ont hérité d'une certaine situation. Ils ont en fait une chasse gardée. L'un d'eux m'avait dit un jour : «Ton ennemi est celui qui fait la même profession que toi !» Cela résonne toujours dans ma tête. Il m'avait dit cela parce que j'essayé de m'approcher de lui pour apprendre, le connaître… Ils pensent qu'on vient leur prendre leur métier. Il y a eu beaucoup de rétention. C'est dommage. Moi, je m'en suis bien sorti seul. Je me suis documenté et fait des recherches. -Et comment avez-vous appris la photo ? Seul. J'ai suivi des cours dans un Centre culturel à Alger. C'est d'ailleurs là que j'ai connu Lyès Meziani (photographe, commissaire- adjoint du Festival national de la photographe d'art). Après, j'ai volé de mes propres ailes. C'était vers 1979. Je voulais faire de la photo, le jour où mon frère m'avait mis entre les mains un appareil de fabrication allemande. J'aimais bien photographier les gens. -Vous semblez avoir une préférence pour les photos du patrimoine également… C'est vrai. J'aime beaucoup les pierres. J'ai commencé avec un travail sur les ruines de Tipasa dans les années 1980. Plus tard, l'Institut du monde arabe (IMA, Paris) m'a contacté pour réaliser une série de photos sur le patrimoine algérien. Je suis allé à Annaba, Tlemcen, Achir (Médéa), Qalaât Beni Hamad (M'sila), Sedrata. -Pensez-vous qu'on photographie aujourd'hui de la manière qu'il faut le patrimoine ? Je ne le crois pas. Il faut une démarche, une certaine connaissance. Il est important de développer la photo architecturale. Pour cela, il faut avoir les notions de base et une certaine vision. -Faut-il enseigner l'art de la photographie à l'école ? Bien sûr ! Pourquoi ne pas introduire une matière au lycée pour enseigner la photo ? Cela se faisait auparavant. Je suis sûr que ça va marcher. Je rencontre beaucoup de jeunes qui sont demandeurs. Ils veulent apprendre la photo. Je leur dis souvent que je peux leur transmettre le métier, leur apprendre des astuces. Avec l'avènement du numérique, c'est plus facile de prendre des photos. Le conseil que je donne aux jeunes est celui là : «Faites beaucoup de photos !» C'est en faisant des clichés qu'on se corrige, qu'on évite les erreurs. Il est important aussi de lire. Le drame des photographes algériens est qu'ils ne lisent pas, ne se cultivent pas… -Qu'est-ce qui va changer avec l'avènement du numérique ? Le numérique a permis une certaine démocratisation de la photo. Il a popularisé la photo. Tout le monde peut faire des photos, même avec les téléphones portables. Il y a parfois un manque de qualité, mais la photo est disponible partout. Je trouve que c'est bien, même s'il ne faut pas faire n'importe quoi quant à l'utilisation (…)Il faut s'adapter à ces nouvelles techniques. Le numérique équivaut aujourd'hui à l'argentique, le film. Il y a eu un bond technologique extraordinaire. Moi, ça me facilite la tâche, même s'il faut passer beaucoup de temps dans la post-production face à l'ordinateur ! Cela dit, je demande toujours l'autorisation avant la publication des photos des personnes concernées. -Vous avez pris part au voyage «Le bateau de la paix, Ibn Khaldoun» en 1991. Quel souvenir en gardez-vous ? C'est une bonne expérience, même si ça a failli mal tourner. A l'époque, je travaillais pour la revue El Djazaïria. On m'avait proposé de partir, j'avais accepté tout de suite. J'aurais aimé montrer ces photos au Festival national de la photographie d'art (Fespa). Je vais le faire, car je n'ai pas encore exposé les photos de cette expérience à ce jour. J'ai fait beaucoup de clichés de cette traversée. Le voyage s'est déroulé pendant 45 jours. Au début, c'était comme une croisière. Les problèmes avaient surgi à notre arrivée en Egypte. Les Egyptiens nous avaient maltraités. Des cartouches de cigarettes leur avaient été données, seul moyen pour nous laisser partir ! Nous avons été arraisonnés dans le golfe d'Oman par des navires américains. Ils avaient débarqué à bord comme dans les films avec des hélicoptères et les GI's. Ils m'avaient confisqué le boîtier qui ne m'a jamais été restitué ! Nous avions écrit «Peace» (paix) sur le bateau, alors que les hélicoptères continuaient à nous survoler. Nous étions une vingtaine d'Algériens. -Vous préparez une exposition à Madrid sur «L'architecture de terre dans la Méditerranée ». Où en est le projet ? Pour ce projet, j'ai été contacté par l'ambassade d'Espagne à Alger pour exposer à Madrid. Des architectes ont vu mon travail et sont intéressés. Il n'y a pas encore de date fixée pour cette exposition. J'ai déjà préparé une trentaine de photos sur le patrimoine.