«Le photographe est perçu parfois comme un suspect», a observé Mohamed Badaoui. Tlemcen De notre envoyé spécial Que serions-nous sans mémoire ?», s'est interrogé, dimanche lors d'une conférence au Palais de la culture Imama à Tlemcen, Tahar Yami, photographe et producteur de télévision, à l'occasion de la tenue du troisième Festival national de la photographie d'art (Fespa). «La mémoire constitue notre identité et nos relations sociales. La mémoire à long terme, celle qu'on conserve, permet de transmettre. Elle est dépositaire de nos souvenirs et histoires. Cette mémoire interne n'est pas suffisante. D'où l'existence de la photographie qui est la mémoire externe. Par extension, il y a la vidéo et le cinéma. La photo, comme les autres formes, est un support qui fixe une partie de notre mémoire, apporte un témoignage sur une situation ou une époque», a-t-il expliqué. Selon lui, l'humain veut laisser des traces sur son parcours et sur les événements liés à sa vie en recourant à l'image, laquelle efface parfois l'amnésie et réactive la mémoire. «L'auteur conçoit l'image en fonction de sa culture et du message qu'il veut transmettre au public. Nous n'enregistrons pas de la même manière un événement vécu. La perception de la photographie est également différente. Nous regardons la même image, mais nous l'interprétons différemment en fonction de nos sensibilités et de nos émotions», a estimé le conférencier. Tahar Yami, qui est diplômé en art cinématographique de la Sorbonne, animateur et producteur à Berbère TV, a appuyé ses propos par des images de propagande de l'armée coloniale française, cherchant toujours à montrer l'Algérien en position mineure, écrasé, soumis. Il a rappelé que l'ALN avait répliqué en publiant ses propres images. Selon lui, la photo peut prendre plusieurs formes : la photo choc, la photo scandale, la photo rare, la photo célèbre et intime, la photo exceptionnelle... Il a cité l'exemple de la photo de Hocine Zaourar, «La madone d'Alger», qui a fait le tour du monde et qui a éveillé les consciences sur les dégâts des violences durant les années 1990 en Algérie. «Cette photo a fait plus de 700 unes de journaux et magazines à travers le monde», a-t-il noté. Tahar Yami a souligné que, parfois, des photos sont supprimées ou cachées pour faire oublier collectivement un événement historique compromettant pour des acteurs politiques. Une occultation qui peut même être à un niveau individuel. «C'est pour cela que certaines personnes attendent d'atteindre un certain âge pour écrire leurs mémoires. Elles n'ont rien à perdre», a-t-il observé. Les facilités que permet la photo numérique peuvent, selon lui, jouer en défaveur de la sauvegarde de la mémoire. «On peut modifier, falsifier, enlever ou rajouter. On a vu des reportages photo ou vidéo qui sont créés, n'ont jamais existé, induit en erreur le public et suscité une réaction. Tout le monde pense que c'est la vérité parce que cela a été diffusé à la télévision», a-t-il relevé. Mohamed Badaoui, journaliste, nouvelliste et dramaturge a, pour sa part, regretté l'absence d'études sociologiques sur les photos de famille et a appelé à en faire une piste de recherche. «Il y a toujours un certain mépris par rapport à cette photo. L'émotion que contient la photo de famille a plus d'importance qu'une photo professionnelle destinée à l'information ou à la publicité. Sous couvert d'objectivité, la photo de presse est faite pour influencer un jugement», a-t-il soutenu, citant la célèbre photo de la petite fille nue fuyant un village vietnamien attaqué au napalm par l'armée américaine. Cette photo a complètement changé l'opinion mondiale sur la guerre du Vietnam. «En choisissant ce cliché, le photographe savait que cela allait avoir un impact sur l'opinion publique et sur les décideurs», a-t-il noté. Mohamed Badaoui a rappelé que la photo professionnelle était à l'origine une photo souvenir. «La photo souvenir a toujours pour fonction de célébrer un bonheur, une naissance, un mariage... Cette photo donne une illusion du bonheur. On fige un moment pour le transmettre sur des générations. La photo souvenir est une mise en scène de la réalité, un objet utilisé par la famille pour transmettre un capital culturel. En plus de cela, c'est un fonds documentaire extraordinaire sur la façon de s'habiller, de se tenir, de mettre en valeur le corps», a-t-il analysé, précisant que la photo souvenir acquiert souvent un caractère sacré. D'après lui, «la société du zapping», la société actuelle, va mettre à rude épreuve la photo souvenir. «Dès que cela ne me plaît plus, j'appuie sur le bouton et j'efface la photo de l'appareil numérique ou du micro», a-t-il remarqué lors des débats. Mohamed Badaoui a estimé que la photographie n'a pas encore acquis la noblesse d'un art entier. «C'est toujours considéré comme un art mineur. Le photographe est perçu comme un suspect lorsqu'il se balade dans la rue avec son appareil», a-t-il dit. Dimanche après-midi, deux autres conférences ont été présentées par Abderrahmane Djelfaoui et Hamid Grine, nous y reviendrons dans notre prochaine édition. Le troisième Fespa est accompagné d'une exposition de photos et d'œuvres d'art réalisées par une trentaine de photographes et huit artistes plasticiens. L'exposition est ouverte au public au niveau du palais de la culture Imama jusqu'au 30 octobre.