Comment peut-on construire un Etat en occultant le sacrifice de ses meilleurs enfants ? Brillant journaliste à la radio où il avait fait ses preuves aux côtés de Djamel-Eddine Hazourli, producteur de l'inégalable émission Cinérama, diffusée sur les ondes de la chaine I à partir des studios de la station régionale de Constantine, Hakim Taâkouchet avait fait aussi son apparition à la télévision où il avait animé plusieurs émissions ludiques. Enfant de la cité Emir Abdelkader, Hakim n'avait jamais connu ses vrais parents, il avait été adopté par un couple modeste. Durant une nuit de la décennie noire du terrorisme, il sera sorti de force de son domicile pour être égorgé sur un terrain vague, situé à quelques mètres de la route menant vers Djebel Ouahch, juste à proximité du technicum de Ziadia. Pour célébrer la mémoire de ce martyr, les autorités de la ville ont décidé de lui ériger une stèle. Histoire de s'y recueillir à l'occasion de la journée mondiale de la liberté d'expression, célébrée le 3 mai de chaque année. Seulement voilà, cela fait déjà des années que les autorités n'ont plus accompli ce geste, aussi symbolique soit-il. La stèle est toujours présente sur le même terrain vague de la cité Emir Abdelkader, un lieu transformé en parking pour voitures et poids lourds. Aujourd'hui, personne parmi les jeunes du quartier ne connaît Hakim Taâkouchet. La plupart d'entre eux n'étant même pas nés il y a de cela plus de dix-huit ans. La stèle est devenue un banal pilier devant lequel a été érigée une baraque de fortune d'un vendeur de légumes. Juste à côté, un cordonnier est venu s'installer lui aussi dans une sorte de refuge en bois, avec pour voisin un réparateur de réchauds dans un vieux fourgon rongé par la rouille. Que reste-il aujourd'hui de la mémoire de Hakim Taâkouchet et de celle des autres victimes du terrorisme parmi la corporation ? Presque plus rien.