En jouant de la parole, des sons et de la musique, l'infatigable fondateur de l'émission « Cinérama » est devenu en l'espace de 21 ans, un porte-drapeau du 7e art radiophonique. Pas de représentation d'images définitives dans lesquelles enfermer l'auditeur, aucun décor visible, seulement des voix et des acteurs sans visage qui défilent chaque vendredi soir dans nos esprits. Hier comme aujourd'hui, toujours animé par la même passion, Djamel Eddine Hazourli s'évertue à la faire partager au plus grand nombre. Discrètement, efficacement, il parle et fait parler de cinéma, des professionnels, des cinéphiles, tout comme il donne la parole au grand public, en se contentant d'ébaucher des pistes de réflexion et en laissant aux auditeurs le champ du rêve et de l'intuition. « Cinérama » célébrera demain sa 21e année d'existence. Record absolu de longévité. Performance peu ordinaire pour une émission qui fut, deux ans durant, suspendue arbitrairement avant de retrouver sa place dans la grille des programmes en octobre 2006, à l'arrivée d'un nouveau DG, Azzedine Mihoubi. Initiée et animée par Hazourli et sa sympathique équipe qui n'arrivent pas à faire le deuil de leur collègue Hakim Taâkouchet, lâchement assassiné, l'unique émission dans son genre dans le paysage médiatique algérien, africain et arabe est, de l'avis des professionnels comme des auditeurs, une réussite incontestable. Son fondateur se dit ravi du parcours accompli. « 21 ans après, je pense que je n'ai pas déçu. Il faut noter que l'émission a pu couvrir plusieurs festivals de cinéma et rencontrer de grands noms du cinéma arabe et mondial, ce qui lui a permis de tisser des liens solides avec les faiseurs d'images, et surtout avec les auditeurs qui la suivent depuis son lancement, et ceux qui sont venus s'ajouter au nombre impressionnant de ses fans. Certes, l'émission a connu des moments difficiles durant la décennie noire. Il y a eu aussi la perte cruelle de Hakim, le manque de matière, l'indifférence institutionnelle… Peut-on pour autant laisser tomber notre auditoire extraordinaire et se démarquer de sa passion ? » De fait, grâce à « Cinérama », un large public a pu connaître de manière intime des grands noms du cinéma africain et arabe et des références du cinéma mondial. Une liste impressionnante qui va chercher ses interlocuteurs aux quatre coins de la planète et parmi les premiers. Diffusée chaque vendredi soir de 21 h à 23h, l'émission est, sans doute, l'un des plus beaux exemples de travail sonore sur la création filmique : pas ou peu d'artifice, une mise en ondes très simple, un montage discret, des transitions naturelles et souples, une musique légère, bref, beaucoup d'imagination ajoutée à un rigoureux travail technique. Réunir des gens autour de films, découvrir la vitalité d'un genre et l'actualité du cinéma, parler de productions qui donnent le désir de vivre des émotions et des plaisirs esthétiques, mettre en lumière des œuvres qui méritent l'attention, inviter au dialogue des femmes et des hommes qui font le cinéma, « Cinérama » est un véritable hymne à la vie. A quoi tient son succès ? Comment expliquer une telle longévité ? Comment traduire la constante fidélité du public à partir des coins les plus reculés du pays ? Des images mentales La réponse est en fait simple. Elle tient à un amoureux fou de la radio, un fervent cinéphile, un être de caractère avec des projets plein la tête. Il nous raconte sa découverte du cinéma : « Très jeune, j'étais marqué par le western, les films hindous et les péplums. Dès l'adolescence, je fut happé par le cinéma de Buñuel, Bergman, Glauber Rocha, Chahine et d'autres encore, puis par les films de la Nouvelle Vague : Truffaut , Godard, Resnais, Chabrol... Ce dernier, que j'ai pu interviewer à Venise lors d'un entretien exclusif, m'a fait grande impression. Dans le même temps, je pratiquais le théâtre et le cinéma amateurs. Puis, à l'université alors que je poursuivais mes études, la radio s'est imposée à moi. L'occasion m'a été offerte par l'ex-RTA qui organisait à l'époque des formations en réalisation et conception radiophoniques. Durant mon complément de formation à l'INA (Institut national de l'audiovisuel) de Paris, j'ai découvert le grand cinéma, celui des salles d'art et d'essai du Quartier latin et de la Cinémathèque Chaillot. J'ai apprécié l'univers de Pasolini, celui de Satyajit Ray, de Bergman, de Fellini, de Sembene Ousmane, de Chahine... Ma carrière, en tant que réalisateur-concepteur, a commencé à la station radio de Constantine, où ‘‘Cinérama'' est né en janvier 1988. » L'idée de départ, avec une programmation bimensuelle, se basait sur des jeux, puis très rapidement, « Cinérama » a trouvé son public, une audience nationale à partir de la Chaîne 1 et un style particulier. La qualité de la prestation et l'originalité du metteur en ondes ont très vite captivé les auditeurs que d'aucuns s'obstinent à considérer comme de simples consommateurs d'inepties. Malgré la démultiplication des chaînes radio terrestres et satellitaires, « Cinérama » est arrivée, non seulement à se maintenir, mais à gagner chaque jour de nouveaux auditeurs. La petite boîte à sons, parent pauvre de notre système audiovisuel, offre chaque week-end l'occasion de rêver de cinéma et de le rêver en images… mentales, bien sûr. En brisant paradoxalement le carcan de l'image, en libérant la sensibilité et l'imagination, et en offrant à l'auditeur la possibilité de voyager dans le royaume des ondes, « Cinérama » se positionne comme une des meilleures émissions de direct du paysage radiophonique en favorisant les échanges et la convivialité. « Aller vers l'auditeur, le fidéliser et débattre avec lui sans aucun a priori », telle est, de l'aveu de l'animateur, la clé du succès. Les citoyens peuvent réagir à chaud aux propos de l'invité et donner leur avis. Aucun message n'est filtré, même si la vigilance demeure de rigueur. Les points de vue les plus contradictoires s'affrontent et se modèrent sur fond musical. Tous les grands du 7e art se sont pliés au rituel du micro de Djamel sans chichi, sans sophistication. Mahmoud Yacine, Rouiched, Rachedi, Abou Seif, Bouzid, Lakhdar Hamina, Chahine, et bien d'autres encore, ont fait l'objet d'entretiens ou de portraits qui les ont fait connaître un peu plus du public algérien. Présente à Carthage, Damas, Ouagadougou, Cannes, Annaba, Oran et au Caire, « Cinérama » a tenu le coup malgré les problèmes vécus, les restrictions budgétaires et les périodes difficiles qu'a vécues le pays. Nul doute que l'initiative de Djamel a séduit un public avide de connaissances cinéphiles et de curiosité artistique. Opération vivante menée tambour battant, l'émission étouffe un peu dans l'espace et le créneau horaire qui lui ont été impartis. La télévision gagnerait à adopter cette émission sur le 7e art qui lui fait cruellement défaut. L'animateur a conscience que son émission a besoin de voir grand, de rayonner à l'intérieur comme à l'extérieur du pays et enfin de s'ouvrir un peu plus sur le cinéma mondial. Cette vue prospective nécessiterait des moyens plus importants, une logistique plus adéquate et surtout une grande confiance de la part des responsables. Une idée que Djamel Hazourli considère avec un intérêt mesuré : « Réaliser une émission nationale spécialisée, telle ‘‘Cinérama'', à partir de Constantine, n'est guère une sinécure. Cela implique un engagement vis-à-vis du public et vis-à-vis de l'institution elle-même. Sans les encouragements des uns et des autres et sans l'accueil favorable des auditeurs, ‘‘Cinérama'' n'existerait pas aujourd'hui. C'est vrai que l'émission transposée à la télé serait peut-être quelque chose d'intéressant dans la mesure où le capital-expérience acquis, les réseaux de connaissances tissés avec les cinéastes et le large public peuvent en garantir la réussite. » Mais, en professionnel qui sait toujours garder une hauteur de vue, il ajoute : « Mais là n'est pas le plus important. Ce qui importe, c'est l'épanouissement du 7e art en Algérie, avec des salles de cinéma, des revues spécialisées et des cinéastes qui doivent produire. La radio algérienne a fait ce qu'elle pouvait faire dans ce sens et je pense qu'avec la nouvelle dynamique qui s'installe, nous pouvons aller beaucoup plus loin. Avec le retour du cinéma algérien et de ses cinéastes, ‘‘Cinérama'' ne sera que plus belle et plus forte. » Quand la passion d'un art peut devenir aussi contagieuse, voilà qui méritait d'être signalé et souligné.