L'Algérie est passée d'un système dit socialiste à un système ultralibéral sans transition à la fin des années 1980 sur injonction du Fonds monétaire international avec son programme d'ajustement structurel. Ce qui a donné lieu à une économie de bazar. La hausse du prix du baril a sauvé l'Algérie de la tragédie grecque à la fin des années 1990. L'économie informelle représente 60% du commerce intérieur. Le système a créé toute une faune de délinquants en col blanc, de prédateurs de la rente avec la complicité active ou passive de l'Etat et de ses démembrements centraux ou locaux. Tous les secteurs de l'économie, notamment les projets structurants, sont livrés, à l'image du commerce extérieur, les grandes entreprises du pétrole, du bâtiment, des travaux publics, de la pharmacie, des communications et des chemins de fer, aux fourches caudines des kleptocrates. Les conséquences sont connues, les fleurons de l'économie nationale ont mis la clé sous le paillasson après leur démantèlement à la fin des années 1990. Des milliers de travailleurs se sont retrouvés au chômage, souvent sans avoir été indemnisés. Jamais de mémoire de juriste, la chronique judiciaire de la presse n'a été aussi bien alimentée par des scandales économiques et financiers que pendant ces dix dernières années. Des milliers de milliards de dinars ont été détournés et des fortunes se sont érigées en moins d'une décennie, ostensiblement exhibées. Malgré cela, des voix, notamment des avocats, se sont élevées pour revendiquer ce qu'ils appellent «la dépénalisation de l'acte de gestion». Ils visent le démantèlement du dispositif actuel, en l'occurrence la loi 06/01 du 20/02/2006 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption. Le dispositif législatif Le législateur, dans la loi 06/01 de février 2006, relative à la prévention et à la lutte contre la corruption, en son chapitre IV, a oublié l'essentiel, en ce sens qu'il ne donne pas une définition juridique précise du mot «corruption». Il ne cite pas les personnes physiques ou morales «candidates» à la corruption. L'article 2A de la même loi définit la corruption par «tous les actes prévus à l'article IV de la présente loi». Cette omission, qui aurait pu ouvrir la voie aux spéculations sémantiques des défenseurs des auteurs de détournement, a heureusement été rattrapée par l'article 27 du code pénal sur la corruption dans les marchés publics qui la définit comme «... tout agent public, à l'occasion de la préparation, de la négociation, de la conclusion ou de l'exécution d'un marché, contrat ou avenant conclu au nom de l'Etat où des établissements publics à caractère administratif, industriel et commercial ou des entreprises publiques économiques, perçoit ou tente de percevoir directement ou indirectement à son profit ou au profit d'un tiers une rémunération ou quelque avantage que ce soit». Le législateur a prévu tous les cas de corruption et l'article 9 de la loi 06/01 de février 2006 impose la transparence et la concurrence loyale dans la passation des marchés publics. C'est dire que le dispositif législatif est quasiment irréprochable. Il s'est beaucoup plus appesanti sur la corruption dans les marchés publics. Ceci s'explique par le fait que la plupart de ces marchés ont donné lieu à des scandales économiques sans précédent depuis une décennie. L'acte de gestion est-il un délit ou un crime ? A aucun moment, que ce soit dans la loi précitée ou dans le code pénal, on ne trouve une disposition réprimant l'acte de gestion en tant qu'infraction pénale, comme suggéré par les défenseurs de la dépénalisation de l'acte de gestion. Les apologistes de la dépénalisation de l'acte de gestion adoptent une position systématique, en ce sens qu'ils ne donnent pas une liste ou un état précis des actes des gestions dépénalisables, à tel point que l'acte de gestion suggéré est à une mini-frontière de l'absolution du délit économique, une sorte d'image subliminale. Dans ses contributions au joumal El Watan, M. Sekfali avait eu les mêmes interrogations. De plus, les tenants de la dépénalisation de l'acte de gestion ne proposent pas la nature périodique de l'acte de gestion dépénalisable. Encore plus, ils ne citent pas les juridictions compétentes pour les actes de gestion dépénalisables et qui échapperaient, par voie de conséquence, aux juridictions répressives. De la responsabilité pénale des gestionnaires de l'entreprise publique et des ministres de tutelle En réalité, le législateur algérien est très clément en abrogeant l'article 119 du code pénal qui prévoyait la peine de mort pour des cas «portant atteinte aux intérêts supérieurs de la nation», en lui substituant l'art 29 du code pénal qui ne prévoit qu'une peine maximale de dix ans de prison , quel que soit le montant détourné. La plupart des responsables d'entreprises publiques des secteurs stratégiques de l'économie ne sont pas désignés sur les critères de compétence et de rigueur, mais sur les critères d'appartenance régionaliste ou d'allégeance politique. Il en est de même pour les départements stratégiques de ces mêmes entreprises. Ainsi, le népotisme crée une sorte d'omerta, de vase clos ; dans la plupart des scandales, sont impliqués des membres de la famille des gestionnaires (voir cas Sonatrach). Si les défenseurs de la dépénalisation de l'acte de gestion, par stratégie, ne donnent pas les actes de gestion dépénalisables, aidons-les par les questions suivantes : -1) Est-ce qu'un marché public fractionné, pour éviter l'appel d'offres, est un acte dépénalisable ? -2) Est-ce qu'un marché public passé avec le partenaire étranger sur le mode du gré à gré au motif qu'il y avait urgence, alors que l'urgence n'est pas prouvée lors des procès est un acte dépénalisable ? (cas Sonatrach et SNTF). -3) Est-ce que la commande de pièces de rechange et d'équipements à un partenaire étranger dans le cadre d'un marché public fictif pour plusieurs millions de dollars est dépénalisable, alors que ces mêmes pièces d'équipements sont retrouvées plusieurs années après complètement obsolètes et oxydées dans les magasins des sociétés (SNCF Annaba). -4) Est-ce que les marchés publics passés avec des membres de la famille des gestionnaires est un acte dépénalisable (cas Sonatrach sur les équipements de sécurité, affaire Alboron société américaine implantée en Algérie, de droit). En vérité, si la responsabilité du gestionnaire est inéluctable, celle des membres de la commission des marchés l'est aussi, d'une façon directe ou indirecte, car ils ne peuvent pas invoquer l'ignorance de la loi, en l'occurrence le code des marchés publics. Si les membres des comités internes des marchés publics ne sont pas directement impliqués dans les malversations économiques et financières, ils sont en moins coupables de non-dénonciation - s'agissant de biens publics - ou de complicité active ou passive. En un mot, ils ont la responsabilité du bon père de famille sur les deniers publics. La responsabilité des ministres de tutelle au plan pénal Est-ce que les ministres de tutelle sont directement concernés par les crimes économiques ? La réponse est oui pour de multiples raisons : Ils ont le pouvoir de nomination et de révocation. Ils ont le pouvoir de contrôle et de décision a priori et a posteriori. Ils sont partie prenante dans la gestion et le contrôle de l'entreprise publique en vertu des décrets les régissant et des statuts internes de l'entreprise. Les plaintes n'émanent pas des ministres. En un mot, ils ont le pouvoir d'injonction. Malgré cela, ils ne sont cités que comme témoins, alors que la plupart des gestionnaires mis en détention préventive les ont dénoncés comme partie prenante dans les crimes économiques. Si la responsabilité des ministres est réellement engagée, celle, morale, de l'Etat, l'est encore plus, car le seul organe de contrôle crédible est la Cour des comptes, qui est mise en veilleuse pour des raisons politiques bien connues du public. Les juges et les auditeurs de cette Cour sont actuellement payés sans travailler. Si la Cour des comptes n'avait pas été muselée, jamais il n'y aurait eu autant de scandales économiques, car ses comptes rendus sont des preuves irréfutables et sa présence est dissuasive. L'absence de la Cour des comptes a engendré des dénonciations par lettres anonymes souvent adressées au DRS ou à l'IGF. A la différence de la Cour des comptes, le DRS et l'IGF ne sont pas des organes indépendants, si bien que l'opinion publique, ne voyant que des lampistes devant les tribunaux, conclut souvent au règlement de comptes dans le sérail et non à une volonté politique de lutte contre la corruption et le détournement. La mise sous le boisseau de la Cour des comptes est déjà une forme flagrante de la complicité de l'Etat. La seule question qui vient à l'esprit est celle de savoir si derrière la dépénalisation de l'acte de gestion, il n'y a pas l'idée de dépénaliser le crime économique. Le lobby de la dépénalisation invoque comme alibi les gestionnaires emprisonnés au milieu des années 1990. Cet alibi ne tient pas la route, car à ce moment-là, c'était une chasse aux sorcières qui faisait partie du démantèlement du secteur public en le vidant de ses meilleurs cadres par le harcèlement et l'incarcération. Les crimes économiques de Sonatrach, de l'autoroute Est-Ouest, de la pêche du thon où des ministres sont cités, sont-ils dépénalisables ? L'article 29 du code pénal a quasiment délictualisé le crime économique, dans la mesure où les délinquants en col blanc, qui ont détourné des millions, voire des milliards de dollars, n'encourent qu'une peine maximale de six ans dans une cellule VIP du pénitencier. Cependant, les pools d'instruction, criminalisent souvent les faits en rajoutant la qualification d'association de malfaiteurs. A ce jour, aucune juridiction n'a ordonné la saisie des biens des gestionnaires inculpés, ni la restitution des sommes astronomiques détournées, se contentant de prononcer une peine de prison, souvent en deçà de 10 ans et une amende ne dépassant pas 1 000 000 DA. Le comble, dans toutes ces affaires, c'est que tout récemment dans l'affaire Sonatrach au tribunal d'Arzew, l'avocat de la partie civile (Sonatrach) a voulu disculper les prévenus devant ses confrères qui s'en sont pris au procureur qui, lui, a rappelé les règles de l'éthique et de la déontologie, au lieu de blâmer leur confrère. Tout récemment, devant le tribunal de Sétif, un avocat, dans un procès sur des malversations économiques, a invoqué la loi sur la dépénalisation avant même que celle-ci ne soit votée ! Conclusion L'acte de gestion n'est pas une faute pénale pour être dépénalisée. Ce qui l'est, c'est le détournement et la corruption, le crime économique et l'abus de biens sociaux. Un gestionnaire d'entreprise publique peut commettre une erreur d'appréciation dans la conclusion d'un marché public, sans être intéressé. Dans ce cas, l'élément moral de l'infraction ou la bonne foi sont déterminants dans la qualification. Ce qui n'est pas le cas des scandales financiers cités dans la presse. Le but est de blanchir tous les délinquants en col blanc qui ont fait de l'Etat l'un des plus corrompus au monde selon Transparency International (113 PIB) (indices de transparence) et qui vident actuellement les banques par les transferts de fonds à l'étranger selon les banques et la presse de peur d'un Printemps algérien. Les seules revendications sur les banderoles des manifestants arabes sont le départ du dictateur et la corruption. La corruption et le détournement sont un sport national. Nous n'en voulons pour preuve que le fait que l'Algérie n'ait aucun marché avec les pays ou les Etats qui n'acceptent pas la corruption (les pays nordiques). On peut libérer l'esprit d'entreprise et la volonté entrepreneuriale des carcans bureaucratiques, mais ne pas légaliser l'infraction économique. En matière de détournement, de corruption, d'abus de biens sociaux, de faillite ou de banqueroute simulée, il n'y aura rien à dépénaliser.