La nouvelle Libye a fait un grand pas vers la démocratie en organisant ses premières élections libres, mais l'incapacité des autorités à rétablir la sécurité face à la montée de l'extrémisme et la prolifération de milices retardent la construction des institutions de l'Etat. Conflits tribaux, revendications sociales ou régionales : depuis la chute du régime de Mouammar El Gueddafi en octobre 2011, les nouvelles autorités ne savent plus où donner de la tête.Dépassées par la recrudescence des violences, elles n'ont eu aucun répit pour se pencher sur la reconstruction du pays dévasté par un conflit de huit mois. Ce ne sont pourtant pas les moyens qui manquent : avec la reprise rapide de la production pétrolière qui a atteint presque son niveau d'avant le conflit de 2011, ce riche pays pétrolier disposait, en 2012, d'un budget de 56 milliards de dollars, le plus élevé de son histoire. Mais El Gueddafi a laissé derrière lui un lourd héritage : un pays dépourvu d'institutions, une armée marginalisée et ses fidèles accusés d'œuvrer à entraver le processus démocratique en Libye. Selon une source des services de sécurité, des «précautions» ont été prises pour empêcher toute tentative d'attaque des pro-Gueddafi pour marquer le premier anniversaire de la mort de leur ex-leader, samedi prochain. Aucune cérémonie n'est prévue à cette occasion par Tripoli, qui fêtera plutôt l'anniversaire de la proclamation de «la libération du pays» le 23 octobre 2011, trois jours après la mort d'El Gueddafi, tué le 20 octobre dans sa ville natale de Syrte. Cette commémoration intervient au moment où le nouveau Premier ministre, Ali Zeidan, prépare la composition de son gouvernement qu'il doit soumettre dans deux semaines pour approbation au Congrès général national (CGN), la plus haute autorité politique du pays issue des élections du 7 juillet. Elu dimanche, M. Zeidan devrait succéder à Abdelrahim Al Kib, dont le gouvernement a conduit une première période de transition mouvementée, mais qui a le mérite d'avoir organisé le premier scrutin libre du pays, dans un contexte difficile. Repartir à zéro La communauté internationale avait alors salué une étape importante dans l'histoire de la Libye qui a permis aux Libyens de savourer la démocratie et la liberté d'expression après des décennies de tyrannie, tout en songeant à la sécurité et à la primauté de la loi. «La Libye a réussi le premier test de la démocratie en élisant une Assemblée nationale après plus de 42 ans de totalitarisme», estime l'analyste libyen Nasser Al Daessy, soulignant toutefois l'urgence d'un consensus national pour la mise en place des institutions, la création d'une armée et la rédaction d'une Constitution. «Une armée professionnelle forte est vitale pour garantir la sécurité et l'autorité de l'Etat», a déclaré lundi Mohammed Megaryef, président du CGN devant des officiers de l'armée. Le gouvernement sortant a échoué à réactiver les services de sécurité et à y intégrer les ex-rebelles, devenus un casse-tête pour les autorités. Par ailleurs, l'attaque contre le consulat américain à Benghazi (est), le 11 septembre, dans laquelle l'ambassadeur des Etats-Unis et trois agents américains avaient trouvé la mort, a illustré la montée en puissance des groupes islamistes radicaux qui œuvrent en toute liberté, notamment à l'est du pays. L'insécurité partout Ces extrémistes sont pointés du doigt dans l'attaque du consulat, mais aussi dans des assassinats d'officiers à Benghazi et des attentats contre des intérêts occidentaux. Le nouveau gouvernement doit aussi se pencher sur la réactivation de la justice sur fond de critiques des organisations internationales de défense des droits de l'homme, qui dénoncent des actes de torture et des arrestations arbitraires menées par les ex-rebelles en toute impunité. Ces critiques avaient déjà commencé à pleuvoir dans la foulée de la mort d'El Gueddafi, exécuté sommairement, et de son fils Moatassim, après avoir été arrêtés vivants, selon plusieurs témoignages. Les autorités libyennes avaient alors annoncé l'ouverture d'une enquête, dont les résultats n'ont jamais été rendus publics. La détention de Seif Al Islam, un des fils d'El Gueddafi, par une brigade à Zenten (ouest) depuis son arrestation en novembre 2011, est aussi une source de préoccupation pour la communauté internationale, Tripoli insistant pour le juger malgré un mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale pour «crimes contre l'humanité». Les nouvelles autorités doivent aussi s'attaquer au dossier de la réconciliation nationale, au moment où les conflits tribaux risquent de plonger le pays dans la guerre civile et de leur faire oublier leur principale mission : rédiger une Constitution qui régira les prochaines élections prévues dans un an.