Doué d'un esprit d'une exceptionnel fraîcheur extraordinairement concentré, le défunt professeur Pierre Chaulet était puissamment éclairé par la conviction profonde que la lutte contre le colonialisme devait absolument être accompagnée d'une sensibilisation culturelle de grande envergure. Etudiant à la Faculté de médecine d'Alger, il écrivait dans les bulletins estudiantins de gauche, dont certains (par manque de moyens) étaient placardés sur les murs. Dans ses premiers articles de presse, Pierre Chaulet luttait contre l'idéologie colonialiste, contre la déification de ce qui est éternellement atroce, contre le système de mensonge et de supercherie auquel sont soumises les masses populaires «indigènes».En 1983, feu Mohamed Guennanèche (1) me montra l'un des tout premiers articles de Pierre Chaulet, le journaliste. Il datait de 1951 et avait été traduit en arabe et publié par Mohamed Guennanèche dans le dernier numéro de la revue El Manar(2), qui avait été suspendue cette année-là, puis interdite définitivement en 1952 par les autorités coloniales. Dans cet article, Pierre Chaulet, «l'étudiant-journaliste», s'élevait contre ce qu'il appelait : «L'océan de calomnie et de bassesse contre les forces de la répression, contre la haine et la violence». Mohamed Guennanèche avait commenté ce papier de Pierre Chaulet en écrivant en marge : «Le cri de notre ami Pierre Chaulet est un souffle chaud parmi les glaces de l'hiver colonial». Plus tard, quand il fonde avec ses amis militants l'Association de la jeunesse algérienne pour l'action sociale (AJAAS) en 1952, il se lie d'amitié avec le professeur Henri Mandouze. Ce dernier ne tarda pas à l'incorporer dans le comité de rédaction de la revue Consciences maghrébines. Pierre Chaulet publiera dans cette revue de «véritables essais» (selon l'expression de feu Abdelhamid Mehri) sur la condition sociale des indigènes algériens. Il y dénonçait «la misère imposée aux autochtones et le manque de soins médicaux dans les hôpitaux, où règne un racisme inqualifiable», dixit feu Pierre Chaulet. Dans les deux derniers numéros (clandestins) de Consciences maghrébines, feu Pierre Chaulet a publié des papiers «carrément indépendantistes». Il avait déjà rejoint le Front de libération nationale (FLN). D'ailleurs, les autorités coloniales ne tardèrent pas à l'arrêter en novembre 1956 en même temps que sa sœur. Ils seront relâchés, faute de preuves, quelques jours plus tard. Cette arrestation ne découragea nullement Pierre Chaulet. Il continua, dans la clandestinité, d'envoyer des papiers virulents contre les colonisateurs au journal tunisien L'Action. C'était des papiers anonymes. Le journal les signalait par la formule ainsi : «De notre correspondant à Alger». La majorité de ces papiers courts, mais pleines d'informations, dénonçait la violence des forces d'occupation françaises. L'écrivain tunisien Mohamed Salah El Djabiri (3) me montra deux articles de Pierre Chaulet. Le premier datait de septembre 1956. L'auteur y écrivait : «Les arrestations arbitraires, la torture pratiquée dans les prisons et les ratissages violents, souvent accompagnés de meurtres prémédités ne viendront jamais à bout du peuple algérien… la Révolution s'organise et des centaines de jeunes et moins jeunes rejoignent chaque jour les maquis du FLN…». En écrivant «la révolution s'organise», Pierre Chaulet faisait-il allusion au Congrès de la Soumam qui s'était tenu le 20 août 1956 ? Probablement. Mais par mesure de sécurité, le correspondant de L'Action ne voulait pas annoncer la tenue de cet important Congrès. Pierre Chaulet me dira en 1983, lors d'une brève rencontre, que les «orientations et décisions» de ce congrès n'ont été diffusées aux moudjahidine et djounoud qu'à partir du 1er octobre 1956. Le deuxième article de Pierre Chaulet que Mohamed Salah El Djabiri me montra est une courte dépêche que notre défunt professeur avait envoyée au journal tunisien L'Action. Elle était publiée dans la 2e page de ce journal, daté du 2 ou 3 février 1957. Je ne peux trancher. Par contre, le titre de la dépêche est toujours ancré dans ma tête : «Affolement meurtrier». Il était question des assassinats perpétrés par les paras de Bigeard dans La Casbah d'Alger. Juste après, Pierre Chaulet a été arrêté et incarcéré à Serkadji (Alger). Libéré puis expulsé d'Algérie en mai 1957, Pierre Chaulet rejoignit Tunis fin décembre 1957. Dès février 1958, il est incorporé dans le comité de rédaction d'El Moudjahid (en langue française). Par modestie, Pierre Chaulet n'aimait pas parler de ses articles et contributions. Mais quand on lit les mémoires du couple Chaulet (Le choix de l'Algérie) on y décèle, malgré certaines envolées lyriques de Claudine, ce style sobre et souvent incisif et précis dans beaucoup d'articles anonymes d'El Moudjahid (1958-1952). A l'époque, les membres du comité de rédaction de l'organe du FLN ne signaient pas leurs contributions par leur nom. Le travail journalistique était collectif. Seul importait «le message» révolutionnaire. Après 1962, Pierre Chaulet est revenu à sa «spécialité de médecin phtisiologue». Malgré sa tâche colossale, il a publié beaucoup de contributions médicales dans des revues spécialisées(4). Renvois : 1)- Militant de la première heure, M. Guennanèche fut emprisonné en 1934 juste après Moufdi Zakaria ; en 1936, Messali Hadj le nomma comme secrétaire particulier au PPA. Il restera avec lui au MTLD jusqu'en 1954. M. Guennanèche a beaucoup écrit sur le mouvement national et notamment sur l'Etoile nord-africaine, M. Kadache cosignera avec lui plusieurs ouvrages en ce sens. 2)- Revue fondée par C. Zouzou entre 1939 et 1952. Elle était proche du PPA /MTLD, on y trouvait des contributions de A. Mehri, B. Benchedda, H. Aït Ahmed, M. Zakaria, etc., l'ex-Enal a édité l'album complet en 1984. Il est disponible à la BN d'El Hamma (Alger). 3)- El Djabiri était très proche des Algériens. Il possède des archives inestimables sur l'Algérie de 1930 à 1962. Il a publié un livre intitulé Les Algériens immigrés en Tunisie 1930-1962 , Enal 1984 Alger. 4) - Le Praticien, revue médicale française très célèbre, qui lui a publié entre 1966 et 1976 plusieurs contributions.