une épopée fondamentalement populaire et libératrice a trouvé sa totale expression de Vérité dans son propre organe de presse né au maquis. Sur le choix du titre - El Moudjahid -, en pleine guerre de Libération nationale, la claire motivation et l'évidente explication sont exposées dans le très utile opuscule El Moudjahid, Un journal de combat (1956-1962) (*). Sous l'intitulé général «Articles non signés», nous lisons dans «Bulletin de naissance», p. 83 et suivantes, ces très éclairants extraits: «La portée politique immense de la guerre en cours, les exploits prestigieux des moudjahidine, les souffrances inouïes qu'avec un rare esprit de sacrifice le peuple algérien subit du fait de la soldatesque impérialiste avaient besoin d'être connus. Certes, la vérité sur les glorieux faits d'armes des nôtres transparaît à travers même les mensonges officiels français, les informations des journaux colonialistes et le désarroi du gouvernement français. [...] C'est donc là un besoin primordial auquel El Moudjahid dans sa présentation de fortune, essayera de donner satisfaction. D'aucuns s'étonneront, sans doute, du choix du titre qu'ils pourraient croire inspiré par un quelconque sectarisme politique ou par un quelconque rigorisme religieux, alors que notre but est de nous libérer d'un carcan colonialiste dénationalisant, pour une démocratie et une égalité entre tous les Algériens sans distinction de race ou de religion. Il faut répondre. Le mot «djihad (guerre sainte) duquel dérive «El Moudjahid» (combattant de la foi) a toujours été, en raison d'un préjugé anti-islamique datant des croisades, pris en Occident chrétien dans un sens borné et restrictif. Il serait symbole d'agressivité religieuse. Cette interprétation est déjà rendue absurde par le fait même que l'Islam est tolérant et que le respect des religions, en particulier le christianisme et le judaïsme est une de ses prescriptions fondamentales, d'ailleurs mise en pratique au cours des siècles. Le djihad réduit à l'essentiel est tout simplement une manifestation dynamique d'auto-défense pour la préservation ou le recouvrement d'un patrimoine de valeurs supérieures et indispensables à l'individu et à la cité. Il est aussi la volonté de se parfaire continuellement dans tous les domaines. Il se trouve que l'Islam fut précisément en Algérie le dernier refuge de ces valeurs pourchassées et profanées par un colonialisme outrancier. Est-il étonnant, dès lors que, se recouvrant d'une conscience nationale, il vienne contribuer au triomphe d'une juste cause?» Dès les premières lignes de l'opuscule, le lecteur apprend que «La Révolution a pris conscience de la nécessité de disposer de canaux d'information, afin de déjouer les plans de ses ennemis. Elle a senti précocement l'obligation de mener le combat sur le front de l'information, de mobiliser le peuple autour des objectifs cardinaux de notre lutte de libération nationale. Il fallait riposter à des campagnes de désinformation, de manipulations, combattre une propagande subversive destinée à isoler les moudjahidine, à pourfendre l'élan imprimé à la lutte libératrice.» On y traite de «L'écho saillant de la lutte armée», du sens du journal «Un titre, une devise», de «La question de l'information, de l'adhésion des masses populaires, de la mobilisation de l'opinion internationale autour des objectifs de la Révolution de Novembre 1954», des «120 numéros publiés», de «L'information, une arme capitale au service de la Révolution», de «L'épisode des numéros tronqués», des moyens «Une ronéo, une machine à écrire et rien d'autre» et d'«Un journal de... 70 feuillets». On y lit de nombreux détails au sujet de la rédaction (assurée par différents auteurs militants), de l'éditorial («rédigé soit par Abane, soit par Larbi Ben M'hidi, soit par Saâd Dahleb ou d'autres cadres», de la frappe (Nassima Hablal et plus tard par Izza Bouzekri),... Dans un autre riche article de présentation, émaillé de quelques fraîches anecdotes, Réda Malek évoque avec finesse et précision «El Moudjahid, organe idéologique de la Révolution». Il s'étend largement sur l'évolution matérielle du journal, sur les succès remportés auprès des Algériens et des amis de l'Algérie combattante et sur quelques déconvenues rencontrées. En somme, «C'est dans de telles conditions, écrit Réda Malek, qu'El Moudjahid était devenu une sorte de creuset idéologique, un carrefour de tous les courants d'idées surgies du feu de la lutte qu'il fallait prendre en compte, rationaliser, traduire en un langage simple, compréhensible par tous. [...] Tel était le style d'El Moudjahid.» D'autres articles encore sont à lire; ce sont autant de récits de grandes valeurs historiques que de souvenirs heureux ou douloureux où l'âme de l'Algérien de 2012 trouve la raison essentielle de sa fierté d'aujourd'hui. Ainsi Pierre Chaulet se souvient de sa «Participation à la rédaction d'El Moudjahid, 1956-1962», Zahir Ihaddaden témoigne en rappelant quelques étapes (Alger, Tétouan, Tunis, «Avec El Moudjahid, 1956-1962». Une partie de l'opuscule est réservée aux «Articles signés par les historiques». Par exemple: «Un nouveau chapitre de la Révolution algérienne s'ouvre» par Ramdane Abane; «Objectifs fondamentaux de notre Révolution» par Mohammed Labri Ben M'hidi, chef de zone; «Mission libératrice de l'ALN» par Abdelhafid Boussouf, officier de l'ALN, chef-adjoint de zone; Lakhdar Bentobbal, commandant-adjoint de la Wilaya II; «De la «pacification» à la réalité: le vrai visage de la pacification», par Belkacem Krim; d'autres, de Slimane Dhiles, Saâd Dahleb, Colonel Saddek. On pourra lire aussi de très importants articles non signés: «Bulletin de naissance», «Démoralisation de l'ennemi», «Un mirage: le Sahara français...», «Les Membres du CNRA tombés au champ d'honneur: Ben Boulaïd, Zirout, Ben M'hidi, Mellah», «Le nouveau «préalable», «L'indépendance nationale pour un Maghreb unifié», «Les dix commandements de l'ALN». En fin d'opuscule, sont insérés: deux portraits (celui de Abdallah Cheriet: Un militant de la plume et celui de Fanon, journaliste des peuples colonisés), des Annexes (Chrono [1er Novembre 1954 à 1984] du journal El Moudjahid), un article El Moudjahid, un instrument de lutte du peuple algérien (signé par la rédaction, Tunis, le 30 mai 1962), une «fiche signalétique» du journal, une double liste d'auteurs vivants et d'auteurs décédés ayant participé à l'épopée. Quelques photos-documents dont ceux de travail (rédaction, frappe, montage, tirage, correction, lecture) terminent avec émotion la grandiose épopée et où l'on reconnaît de nombreux militants. En cette veille du Cinquantenaire de l'Indépendance retrouvée (1962-2012), contre l'oubli, contre l'ignorance, contre le défaitisme, souvenons-nous: la Révolution Algérienne a été une lutte de libération nationale, mais également un exemple de lutte de libération et un soutien pour tous les peuples opprimés, - Gloire à nos Martyrs et à nos Moudjahidine de tous les temps! (*) El Moudjahid, Un journal de combat (1956-1962), Plusieurs contributions d'archives, Editions ANEP - El Moudjahid, Alger, 2011, 143 pages.