Y a-t-il un problème «musulman» dans les prisons françaises ? Cette question a une nouvelle fois été posée crûment ces dernières semaines, après l'opération de police antiterroriste qui a abouti à l'élimination d'un extrémiste français radicalisé en prison. Quel est donc l'état des lieux ? Le passage en prison du présumé terroriste français abattu par la police - récemment converti à l'Islam, puis passé à la radicalité - aurait été déterminant dans son parcours violent. Il n'en a pas fallu plus pour que les médias entonnent la même idée d'une radicalisation musulmane dans les prisons françaises, à l'aune de l'affaire Merah qui n'a pas fini de noircir les pages des journaux. La nécessité du renfort des aumôniers musulmans en prison a été rappelée dans la foulée par la ministre de la Justice, Christine Taubira, qui a annoncé des créations de postes en 2013 et 2014. Cette annonce cache une réalité qu'aucune statistique officielle ne révèle : la part importante de prisonniers musulmans dans les prisons. Ce que nous précise le recteur de la mosquée de Villeurbanne, Azzedine Gaci, ancien président du Conseil régional Rhône-Alpes du culte musulman. «Les musulmans représentent 25% de la population carcérale, parfois plus dans certaines prisons, où ils dépassent la moitié, alors qu'ils ne représentent qu'environ 10% de la population nationale. Certes, il s'agit dans la plupart de cas de délits mineurs.» Il en tire une triste conséquence : «ce constat traduit l'échec de toutes les politiques d'intégration menées depuis des décennies.» Est-il juste, dès lors, de lier radicalisation au manque d'aumôniers, comme l'actualité récente a pu le laisser croire dans les médias ? Pour Azzedine Gaci, «l'administration porte une grande responsabilité dans le développement de ce phénomène, qui s'explique essentiellement par le manque d'aumôniers musulmans, mais aussi par le manque de formation de ces derniers». Il rappelle cependant «que sur une population de 66 000 détenus à l'échelle nationale selon les dernières statistiques de l'administration pénitentiaire, seuls 200 environ le sont pour des faits de terrorisme ou en raison d'un comportement extrémiste. Il n'y a donc pas de quoi s'alarmer», en conclut-il. Rendre l'aumônerie musulmane «plus transparente, plus diverse et plus active» Développer, comme le propose le ministère de la Justice, trente nouveaux postes sur deux ans, n'est pas suffisant, estime le recteur : «On aurait besoin d'au moins cinq fois plus. L'aumônerie compte 160 aumôniers, alors qu'ils devraient être deux à trois fois plus pour répondre aux besoins des détenus musulmans. Ces chiffres, qu'on semble découvrir aujourd'hui, sont connus depuis très longtemps par les pouvoirs publics. Avec quelques responsables musulmans de la région Rhône-Alpes, nous avions rencontré Mme Alliot-Marie, alors ministre de l'Intérieur en 2009. Nous lui avions fait part de nos préoccupations en ce qui concernait le développement du radicalisme en milieu pénitentiaire, à cause du manque d'aumôniers musulmans. Malheureusement, rien n'a été fait depuis.» Pourtant, M. Gaci relève que «ce manque d'aumôniers n'explique pas à lui tout seul le développement du radicalisme. En effet, un grand nombre d'aumôniers ne sont pas qualifiés, car ils n'ont reçu aucune formation. Certains ne savent pas parler correctement le français et ont du mal à communiquer avec les prisonniers, et beaucoup sont incapables de répondre aux questions religieuses parfois compliquées que se posent les détenus musulmans. N'ayant pas les compétences nécessaires, certains ont tendance à déserter les prisons et ils ne s'y rendent qu'occasionnellement. Il y a donc un manque d'assiduité et donc de suivi, ce qui démotive les détenus également.» L'autre question qui se pose pour l'aumônerie musulmane est du même type que celle qui se pose pour la communauté musulmane en général, la multiplicité des origines associatives et des nationalités, qui complique toute organisation représentative : «beaucoup d'aumôniers sont nommés en fonction de leur nationalité et leur affiliation à telle ou telle fédération et non en fonction de leurs compétences, ce qui constitue un véritable problème. C'est d'ailleurs pour cette raison, entre autres, que j'ai quitté cette aumônerie. En trois années d'exercice, je n'ai jamais été contacté par le responsable de l'aumônerie nationale du culte et je n'ai jamais participé à aucune réunion, où je pouvais donner mon avis et parler des problèmes des détenus. Tout cela pour dire qu'il faut revoir effectivement l'organisation de cette instance, la rendre plus transparente, plus diverse et plus active.»