Chrétiens et musulmans ont rendez-vous depuis hier à Lyon. A la lumière de la foi qui les anime et les différencie, ils font un bout de chemin vers le vivre ensemble. Un challenge face aux défis de l'époque que sont l'indifférence, la haine, la mondialisation, les flux migratoires et tant d'autres effets pervers du renfermement sur soi. Lyon De notre correspondant Le dialogue interreligieux est une épreuve difficile, chacun s'enfermant dans sa culture, sa sensibilité et sa religion. «L'indifférence religieuse, la peur de l'autre et le repli identitaire peuvent être de sérieux obstacles à une vie commune et paisible», écrivent en commun, le musulman Azzedine Gaci, recteur de la mosquée de Villeurbanne, ancien président du Conseil régional Rhône-Alpes du culte musulman, et le catholique, Vincent Féroldi, délégué épiscopal du diocèse de Lyon, chargé des relations avec les musulmans. Ensemble, ils organisent une première grande rencontre islamo-chrétienne samedi et dimanche à Lyon. Quatre thématiques concrètes seront abordées : perspectives du dialogue islamo-chrétien en France ; les aumôneries en hôpital, en prison et dans l'armée : enjeux, questions et partenariat ; le mariage civil, religieux et mixte ; laïcité, religion et politique. Cela dit, estime Azzedine Gaci, «les rencontres interreligieuses ne doivent pas se limiter à des discussions et des débats, elles doivent nous inviter à changer, à évoluer, à former et se réformer. Nous devons être à l'écoute des critiques et faire entendre les nôtres. C'est ce que nous essayerons de faire durant ces deux journées avec des personnalités chrétiennes et musulmanes qui viennent de toute la France». Pour le père Vincent Féroldi, il s'agit de «permettre à une cinquantaine de personnes parmi les plus engagées en France dans le dialogue islamo-chrétien de se rencontrer, de se connaître et de faire grandir entre eux une confiance mutuelle pour pouvoir ainsi travailler ensemble afin de trouver des réponses à quelques défis importants de notre société française multiculturelle». Il nous a confié que «l'heure n'est plus au dialogue pour le dialogue et la connaissance. Il y a urgence à réfléchir ensemble aux questions brûlantes de nos contemporains et à proposer, dans un contexte de laïcité ouverte, des réponses spirituelles et philosophiques qui permettront à tous de grandir en humanité». Pour lui, si toutes les questions traitées durant ces deux jours sont prioritaires, celle qui lui paraît la plus sensible concerne le mariage civil religieux et mixte : «Cela touche de plus en plus de familles. Il y a donc, d'une part, à comprendre ce qu'est en France le mariage civil, avec ses conséquences juridiques, humaines et sociales, et, d'autre part, à en mesurer les conséquences aux plans spirituel et humain pour chaque religion.» Comme on le voit, on est très loin dans cette démarche des considérations philosophiques ou théologiques. Depuis plus de deux décennies que les premières amorces de discussions ont débuté entre chrétiens et musulmans, la vie quotidienne a toujours été au centre du rapprochement. C'est dans la vie de tous les jours que la coexistence est solutionnée. Azzedine Gaci refait pour nous le chemin historique pour en arriver à une telle réunion à Lyon, à laquelle des personnalités de premier plan participeront. Tout commence en 2007, alors qu'il était encore président du Conseil régional du culte musulman, lors d'une visite à Tibhirine où ont été enlevés puis exécutés les moines trappistes en 1996 : «Après le voyage islamo-chrétien en Algérie, que j'avais organisé en février 2007 avec le cardinal Philippe Barbarin, les rencontres entre chrétiens et musulmans se sont considérablement développées dans la région Rhône-Alpes. Le 17 novembre 2008, nous avons réussi à réunir plus de 180 imams, prêtres et cadres religieux dans un séminaire afin de mieux se connaître pour agir ensemble. Au niveau national, plusieurs groupes islamo-chrétiens existent depuis des années. Si l'organisation des chrétiens et leur hiérarchie cléricale leur permet de se rencontrer souvent et travailler ensemble sur le dossier du dialogue interreligieux, la situation est très différente pour les musulmans. Beaucoup d'entre eux sont engagés dans ce dialogue à titre individuel et n'ont aucune coordination entre eux. Il était donc indispensable d'organiser ce colloque qui regroupe des imams et des recteurs, des directeurs d'instituts de formation des imams, des universitaires et des intellectuels. Il permettra aux responsables musulmans d'échanger et de rapprocher leurs points de vue et donnera sans aucun doute un nouveau souffle aux relations entre les musulmans et les chrétiens de France, dans cette époque de diversité, de mélange et de très profonde complexité». «Nous n'avons pas d'autre choix que d'apprendre à vivre paisiblement ensemble» Azzedine Gaci considère que «tous les thèmes proposés à la discussion sont importants». Pourtant, ayant beaucoup œuvré à développer l'aumônerie musulmane dans les prisons, et étant lui-même visiteur de prison, il pense que ce sujet est aujourd'hui primordial. «Beaucoup de détenus vivent parfois dans des conditions très difficiles et ont besoin de soutien moral et d'accompagnement spirituel. Il en est de même dans les hôpitaux où une présence chaleureuse et sécurisante est particulièrement requise auprès des malades. Les chrétiens et les musulmans ont beaucoup à apprendre les uns des autres dans ce domaine». Le recteur de la mosquée de Villeurbanne, qui organise régulièrement des débats, croit beaucoup à l'ouverture d'esprit et au dépassement de ses limites contraignantes : «La diversité religieuse est un fait. C'est une volonté divine, selon le Coran. Aussi, nous n'avons pas d'autres choix que d'apprendre à vivre justement, tranquillement et paisiblement ensemble». Lorsqu'il se retourne derrière lui et constate le chemin parcouru, il ne regrette rien, il veut au contraire aller de l'avant, à partir de ce que ce dialogue lui apporte : «En ce qui me concerne, le dialogue interreligieux m'a fait d'abord rencontrer des personnes et des personnalités formidables auprès desquelles j'ai beaucoup appris. Il m'a permis de réfléchir sur ma propre foi, de mieux la comprendre et questionner mes principes pour les approfondir. Ma rencontre avec les chrétiens m'a fait également percevoir des aspects de ma religion que je négligeais, notamment la dimension spirituelle de notre religion. L'Islam est avant tout une religion du cœur, une spiritualité vivante, approfondie et sans cesse renouvelée. J'ai appris à parler de mon cœur avec mon cœur.» Le recteur de Villeurbanne aura deux jours, avec l'ensemble des invités, pour s'en assurer.