Le 4e Festival international du théâtre de Béjaïa a été clôturé hier soir. La manifestation a été marquée par la présentation d'une trentaine de spectacles. Béjaia De notre envoyé spécial Le noir et le blanc dominent la scène. Au devant, un mur ou des blocs de béton. Derrière, un mouvement de va-et-vient. Des humains marchent dans les deux sens. Des lumières se baladent dans une action anarchique. La musique est martiale. Les tambours se font insistants, présents, forts. Soudain, une explosion. Les obstacles tombent. Du sable vole en l'air. Les danseurs se mettent en place et occupent l'espace. Une flûte orientale semant un air triste fait baisser l'agressivité voulue des percussions. La pièce chorégraphique Oujouh El qamar (Les faces de la lune) de l'Irakien Talat Samwi, présentée mardi soir au Théâtre régional de Béjaïa (TRB) en clôture du 4e Festival international du théâtre, est clairement installée dans l'expression contemporaine libre. Selon la technique du collage, les tableaux se succèdent avec un style changeant. Le corps est au centre de l'ensemble, alors que la gestuelle évolue avec les lumières. Des torches bougent, lacérant une obscurité pésante. Le jeu théâtral n'est pas ignoré. Les danseuses se mettent en avant, prennent place sur des chaises et annoncent leurs préoccupations sous forme de mots : «Ice cream», «Haifa», «Feuilleton turc», «Porte-monnaie», «Wawa», «Rose», «Opérations», «Message», «Oreiller».... Elles caressent des poupées. Des poupées que les danseurs jettent plus loin en bas de la scène. L'homme ne considère-t-il pas la femme parfois comme un objet jetable ? Les garçons disent eux aussi ce qu'ils pensent : «Zatla», «Ceinture», «Barcelona», «Karantita», «Facebook», «Balle», «Moustaches», «Chicha», «Chargeurs», «Souliers»... Des mots-discours. Des mots qui soulignent les grands carrés de l'existence. Peut-on se passer de la technologie ? De ces petits instruments de la vie accélérée d'ajourd'hui ? Mains ligotées, une danseuse, sous une lumière concentrée, se met à tenter de se détacher. Ses mouvements sont libres et déterminés. L'émancipation réelle n'est jamais offerte en cadeau ! La danseuse est accompagnée d'une mélodie stylisée Hip hop. Un danseur se met à chanter sur un air bluesy My love, my life (Mon amour, ma vie). Un autre, seul sur scène, interprète un moual irakien, Ana, men ana ? (Qui suis-je ?). Des pages de journaux tombent du haut. Plus en avant, les danseurs exécutent la chorégraphie de l'ironie. Ils dispersent par les pieds les feuilles tombées. Ensuite, ils reviennent sur scène avec des balais. Ils nettoient les lieux, accompagnés de la chanson loufoque de l'Egyptien Sa'ad Al Soghayr, Bahibak ya hmar ! (Je t'aime, ô âne), écrite par Malak Adel (cette chanson fait partie de la bande originale du film, Aliya al tarab bi thalatha. Talat Samoui se moque comme il peut des médias, refuse toute forme de propagande et il le fait savoir. «Oui, les médias jouent un rôle négatif dans le monde arabe actuellement», nous dit-il plus tard dans les coulisses. Il interpelle à la fin de son spectacle ce qui est appelé la communauté internationale en faisant jouer aux quatorze danseurs le rôle de poules bruyantes. Des poules qui ont osé «franchir» le chemin interdit, le chemin rouge comme un fleuve de sang ! La volaille ne faisait-elle pas l'opinion, selon le chanteur ? A Béjaïa, et pendant dix jours, Talat Samawi a assuré des séances d'entraînement aux quatorze danseurs venus de cinq pays (Irak, Syrie, Tunisie, Algérie et Suède). «Nous avons travaillé dix heures par jour. Les conditions pour se retrouver et s'entraîner n'étaient pas tout le temps réunies. Le dernier travail que nous avons exécuté a été entamé en Irak au printemps 2012», a expliqué Talâat Samawi, qui a retrouvé Béjaïa trente ans après. «Je suis venu à l'âge de 14 ans en 1980 pour assister à un match», s'est-il souvenu. Installé en Suède, Talâat Essamoui chapeaute actuellement un projet international, «Khotatou al moustakbal», qui consiste à coacher des jeunes danseurs de plusieurs pays arabes et préparer des spectacles. Des spectacles déjà présentés en Syrie, en Tunisie et en Algérie. La prochaine représentation se fera au Maroc en 2013. «Je préfère parler de l'art de scène contemporain. Le but de ce projet est de développer les capacités artistiques et esthétiques des jeunes. Nous organisons des ateliers et des conférences pour mieux les former. Il faut continuer, malgré les complications techniques. Le théâtre d'aujourd'hui n'a pas de frontières. Je travaille depuis plus de vingt ans sur l'après-multiculturalisme. Le but est d'adapter un langage artistique commun et des clefs pour des cultures diversifiées. L'objectif sera toujours d'essayer de comprendre l'homme dans son vécu», a expliqué le chorégraphe. Metteur en scène également, Talat Samawi, 45 ans, s'intéresse beaucoup à la danse dramatique (Drama dance). Il a produit plusieurs pièces chorégraphiques, 0 + 0 égale, Nada el matar (Les gouttes de pluie), Houroub bila houdoud (Guerres sans frontières) et Al houroub ilya ayn (Fuir où ?) En 1991, il a créé la troupe Mille et une nuits pour les arts populaires, puis la troupe Soura man raâ (du nom d'une ville libanaise) qui pratique la danse arabe moderne. A partir de 1996, la troupe a pris le nom de Akito. Akito est installée actuellement à Göteborg (sud de la Suède) avec une antenne à Baghdad.