Ya-t-il une politique de la ville en Algérie ? Pour Ewa Berezowska Azzag, éminente urbaniste, directrice de recherche à l'EPAU, l'Etat algérien n'a jamais eu une vraie politique de la ville. «Il n'y avait pas de politique de la ville, mais une gestion territoriale et d'aménagement de la ville», précise-t-elle avant d'ajouter : «Il ne faut pas confondre politique de l'habitat et de l'urbanisme et politique de la ville.» Dans un exposé de très haute facture, sous le titre «Politique de la ville en Algérie : acquis et faiblesses», la conférencière s'est attachée sur l'inventaire précis de tous les dysfonctionnements liés à nos politiques urbaines. «Le statut de la ville est passé d'un objet ‘‘fourre-tout'' à celui de lieu de vie, sensible et méritant une approche qualitative», dit-elle. Selon elle, la politique de la ville est quelque chose de relativement récent. Tout en saluant la création d'un ministère de la Ville en 2004, puis d'un observatoire de la Ville, Ewa Azzag dresse un constat sévère quant à la façon dont est pensée et gérée la ville algérienne. Elle constate que les différentes politiques urbanistiques sont restées «sectorielles» et «c'est la politique de l'habitat et de l'urbanisme qui domine. (…) Il n'y a toujours pas de politique de la ville cohérente», appuie-t-elle. D'après elle, «il y a deux définitions majeures de la politique de la ville : une politique passive, qui consiste à agir sur l'existant et répondre aux besoins des populations (conception française). Et il y a la politique active (tradition anglo-saxonne), qui repose sur une matrice d'orientation pour infléchir la dynamique de développement et agir sur l'avenir». Les villes sont confrontées, dit-elle, à toutes sortes de problèmes : démographiques, fonctionnels, économiques, écologiques, socioculturels, technologiques, institutionnels… Comme l'ont souligné nombre d'intervenants à ce colloque, l'Etat algérien a «mis le paquet» en matière de constructions, d'équipements, de grands ensembles, mais le qualitatif laisse toujours à désirer. Ewa Azzag ajoute : «Le réseau urbain s'est étoffé. On dénombre 20 millions de citadins, 5 millions de logements ont été construits. Le parc des véhicules particuliers a été multiplié par 10. Des infrastructures ont été érigées ainsi que des équipements structurants. Mais en 50 ans, la ville a multiplié le taux de chômage, 200 000 hectares de terres agricoles ont été sacrifiées au bulldozer. On a multiplié par 7 le dégagement de gaz à effet de serre. L'indice de développement humain n'a augmenté que de 13%. Le régime foncier a changé trois fois sans effet tangible sur l'occupation du sol. Les instruments d'urbanisme n'ont changé que deux fois en 50 ans, ce qui est aberrant dans la mesure où ils n'accompagnent pas les changements survenus», explique-t-elle, avant de s'interroger : «Comment insuffler un nouvel élan à la politique de la ville ?» Les approches sectorielles et l'émiettement institutionnel, prévient-elle, ne favorisent pas une réelle politique de la ville en ce qu'ils conduisent à une «dispersion des prérogatives.» Une organisation managériale médiocre Ewa Berezowska Azzag a minutieusement recensé toute une pléthore de dérèglements qui empêchent l'élaboration d'une vraie politique de la ville : instruments réglementaires figés, absence d'une vision stratégique et de marketing urbain. Et de renchérir : «L'organisation managériale est de qualité médiocre, la gouvernance est souvent de type ‘‘top-down'', autrement dit directive, pas citoyenne, les banques de données ne sont pas fiables, les cabinets d'évaluation sont toujours étrangers.» Elle se demande «où est la place des locaux ?» Pour Ewa Azzag, il ne saurait y avoir de développement durable qui ne fût porté à l'échelle urbaine. En d'autres termes, la vie c'est la ville, et cette proposition paradigmatique a de quoi, à elle seule, inspirer tout un programme. L'urbaniste aime à user d'une métaphore bien inspirée en comparant la ville à un organisme vivant, avec une morphologie, une physiologie (ce qu'elle appelle «le métabolisme urbain»), une intelligence qui renvoie à son mode de gouvernance. Elle préconise ainsi une approche «holistique» (autrement dit appréhender la ville comme un tout transcendant ses parties) pour ériger de vraies villes. Evoquant le Schéma national d'aménagement du territoire (SNAT) à l'horizon 2030, elle estime qu'il va fatalement se heurter aux critères de la politique de la ville. «Il faut d'ores et déjà faire le distinguo entre villes existantes et villes nouvelles», recommande-t-elle en prenant en compte les spécificités de chaque ville, en l'occurrence sa position géographique, climatique, ses traditions, son histoire, sa culture, ses ressources, sa structure économique, en un mot son écosystème propre. «Il n'est plus possible d'avoir la même approche normative pour toutes les villes», martèle-t-elle, avant de conclure : « J'espère que la communauté universitaire aura une place de choix dans l'élaboration de la politique de la ville algérienne.»