La consommation d'antibiotiques a connu une évolution de 19% au cours de cette année. Le remboursement des médicaments par la Caisse nationale d'assurances sociales (CNAS) et la Caisse nationale d'assurances sociales des non-salariés (Casnos) a atteint 110 milliards de dinars en 2011. La forte propension à la prescription de médicaments est devenue une pratique courante, que ce soit dans le public ou le privé. Une pléthore de médicaments qui ne font pas forcément toujours bon ménage à la longue sont prescrits à des malades, même lorsque cela n'est pas nécessaire. Il est rare qu'un médecin délivre, après une consultation, une ordonnance contenant moins de quatre ou cinq médicaments dont le prix dépasse généralement 200 DA. Des médicaments pour la majorité remboursables à 80%. Une prescription jugée excessive s'est alors installée et elle est devenue même systématique chez certains praticiens, qu'ils soient généralistes ou spécialistes. Parmi les classes de médicaments thérapeutiques les plus prescrits figurent les antibiotiques, les corticoïdes, les anti-inflammatoires et d'autres produits de nouvelle génération. Une panoplie de médicaments qui ont des effets secondaires, surtout chez les personnes souffrant de maladies chroniques. Le constat peut vite être vérifié si l'on se réfère aux statistiques du marché du médicament en Algérie. La facture à l'importation des médicaments a atteint 2 milliards de dollars en 2012, soit une hausse de 29,41% par rapport à l'année 2011, ce qui s'explique, entre autres, par l'augmentation des prix des médicaments, mais aussi par l'évolution globale du marché de certains produits tels que les antibiotiques qui a connu un accroissement de 19% au cours de cette année. Une classe thérapeutique qui a pourtant fait l'objet d'innombrables recommandations pour une utilisation limitée, mais qui connaît en Algérie une flagrante expansion dans la prescription. Le remboursement des médicaments par la CNAS et la Caisse nationale des assurances sociales des non-salariés (CASNOS) en 2011, estimée à plus de 110 milliards de dinars en 2011, est également une preuve d'une forte prescription. Pour les praticiens, certains malades qui se présentent chez eux nécessitent effectivement 2 à 3 médicaments, sachant qu'ils souffrent d'une ou deux pathologies. Mais d'autres estiment qu'on peut toujours traiter des maladies virales avec seulement un produit ou pas du tout. Le Pr Nafti, chef du service des maladies respiratoires à l'hôpital Mustapha Bacha à Alger, plaide pour la réduction du nombre de médicaments qui peuvent avoir des effets secondaires néfastes sur les malades et induire des dépenses supplémentaires pour eux et pour la sécurité sociale. Il affirme qu'il y a aujourd'hui une prescription irrationnelle qui est due, selon lui, d'une part, à l'agression pharmaceutique à travers la formation assurée par les laboratoires pharmaceutiques. Le manque de formation est donc une des raisons de cette prescription abusive, a-t-il souligné. Le médecin-conseil doit être, selon lui, réhabilité dans son rôle. Comme c'est aussi le cas du pharmacien qui doit renforcer sa relation avec le malade, a-t-il noté.
Formation obligatoire pour les praticiens Le Pr Nafti recommande, ainsi, la relance de la formation qui deviendra obligatoire pour les praticiens. Comme il est important d'établir des consensus thérapeutiques qui seront publiés et distribués. Le Dr Boudraâ, spécialiste en diabétologie et endocrinologie, installé à Sidi Moussa, affirme que la prescription de plusieurs médicaments peut être justifiée, car généralement les patients qui se présentent chez nous souffrent de maladies chroniques, il est donc important de traiter la maladie et ses facteurs de risques, a-t-il indiqué. «Il est question alors de procéder à l'association de deux à trois médicaments, tout en se référant aux recommandations internationales, par exemple dans le traitement du diabète, pour pouvoir stabiliser la maladie et soulager le patient», a-t-il encore affirmé. Du côté des généralistes, la prescription des médicaments est bien connue et réglementée. Le recours aux antibiotiques est l'un des moyens efficaces pour traiter les maladies infectieuses. «On ne peut pas ne pas prescrire à nos patients des médicaments qui sont efficaces et qui permettent une guérison rapide. Si une personne se rend dans un cabinet médical ou dans un hôpital, cela veut dire qu'elle souffre et qu'elle a besoin d'être soulagée», estime un omnipraticien. Le Dr Zemmouri Boudjemâa, médecin généraliste à Hussein Dey, n'est pas de cet avis, puisqu'il considère que la prescription ne doit pas être une chose systématique. Il faut prendre le temps nécessaire avec son malade et tenter de faire un diagnostic fiable. Il n'est parfois pas du tout nécessaire de délivrer une ordonnance avant que le malade n'ait fait des examens d'exploration. Il est vrai que délivrer une ordonnance est devenu un geste automatique chez plusieurs médecins, a-t-il souligné, en déplorant l'absence «du concept de médecin de famille qui est très important, ainsi que l'inexistence de la notion de médecin-conseil dans la corporation qui a besoin de l'éducation sanitaire». Le slogan connu et reconnu ailleurs qu'en Algérie, «Les antibiotiques, ce n'est pas systématique», est loin d'être le credo des médecins algériens qui ne manquent pas de prescrire souvent des antibiotiques et parfois même à large spectre, regrette-t-on. Manque d'information et de formation continue Une surcharge de travail pousse parfois certains médecins à une prescription systématique, sans avoir recours à un dialogue plus approfondi dans le cadre d'une consultation plus longue avec les patients. Ce qui pourrait permettre certainement de réduire le nombre de prescriptions stériles, pensent d'autres praticiens. Pourquoi cette prescription abusive ? Le manque d'information et de formation continue sont à l'origine de cette pratique courante en Algérie, affirme le président du Conseil national de l'ordre des médecins, le Dr Bekkat Berkani Mohamed. Par ailleurs, le médecin subit également une pression de la part de son patient pour une prescription automatique, «sinon le médecin est vite qualifié d'incompétent. L'accès au remboursement de tous les médicaments facilite la tâche au médecin, qui peut prescrit jusqu'à quatre produits», a-t-il souligné. Et de préciser qu'«il y a aussi certains collègues qui ont pris cette mauvaise habitude de prescrire des médicaments considérés comme obligatoires, alors que l'organisation de la prescription obéit à des règles scientifiques. Le débat doit être aujourd'hui lancé et un travail de formation et de communication envers les médecins, et le public, surtout, doit être engagé. Certaines prescriptions peuvent être inutiles ou néfastes pour les malades». Pour le président du Conseil de l'ordre des pharmaciens, Lotfi Benbahmed, la prescription de certains médicaments, comme les corticoïdes, est faite parfois de manière abusive. «Les médecins généralistes n'ont pas eu une formation suffisante sur les maladies chroniques. C'est ce qui les amène souvent à prescrire certains classes thérapeutiques, peut-être efficaces, mais qui peuvent avoir des effets secondaires importants», précise M. Benbahmed, avant de signaler que le pharmacien doit aussi jouer son rôle ; s'il y a un doute dans une prescription, il doit revenir vers le médecin qui a délivré l'ordonnance «On peut refuser de donner les médicaments lorsque l'on constate une interaction médicamenteuse», a-t-il ajouté, et de souligner que «le recours au traitement par les médicaments est systématique, car ils sont remboursés, contrairement aux examens d'exploration, tels que le scanner, l'IRM et toutes autres analyses médicales». Le président du Conseil de l'ordre des pharmaciens plaide pour l'introduction, dans la prochaine loi sanitaire, d'une Haute autorité de la formation, car la thérapeutique évolue et on ne peut pas seulement compter sur la promotion médicale pour pouvoir informer les médecins et les pharmaciens.