Pourquoi la figure du Maghrébin est-elle absente du panthéon de la cinématographie coloniale ? « Parce que l'histoire de ce cinéma, c'est aussi celle d'une domination écrite par des bailleurs de fonds métropolitains et exécutée par ‘‘des maîtres'' venus d'ailleurs. Car l'Afrique du Nord nous a donné des vins meilleurs qu'on ne l'imaginait. Je ne vois aucune raison pour qu'elle ne nous donne pas les meilleurs films français », déclarait Harry Baur, vedette de Sarati le Terrible, un Sicilien, venu mater, fouet à la main, des dockers algérois, un film réalisé par André Hugon en 1937 dans une Casbah reconstituée dans des studios parisiens, une ineptie adaptée d'après un roman de Jean Vignaud . En fait, tout le Maghreb ne fut qu'une toile de fond, un décor réduit à un bazar de pacotille repris par des centaines d'affichistes et de publicistes répandant ainsi, à travers la planète entière une image tronquée, falsifiée, dénaturée du sud de la Méditerranée, métamorphosée en un immense studio à ciel ouvert car aucune maison de production occidentale ne fit l'effort d'installer un laboratoire et par conséquent un centre d'activités capable de fédérer une multitude de métiers liés à la pratique cinématographique. Devant et derrière la caméra, cet objet magique. Bien au contraire, la ronde des cinéastes imitait celle des militaires en campagne qui avançaient fusil au poing, l'œil grand ouvert, redoutant, pour les premiers malaria et typhus, pour les seconds les difficultés climatiques. Certes, certains génériques de « ce cinéma nord-africain » sont traversés par des noms d'origine maghrébine, mais comme l'éclair, ils sont éphémères. Rappelons donc la courte gloire de Mohamed Touri, interprète principal du film Maârouf, savatier du Caire de Jean Mauran, une adaptation d'un conte des Mille et Une Nuits tournée en dialecte marocain. Ce long métrage fut présenté la première fois au festival de Cannes en 1947... et n'eut aucun succès. Ajoutons Nacéra Chafik, Mohamed El Kamel, Keltoum, Djamel Badri, Habib Réda, Rouiched qui furent distribués une unique fois. Ou Habib Iguerbouchen, homonyme du talentueux Mohamed, auteur d'une insipide musique de film du à Robert Vernay Le fort de la solitude, vaine ressemblance de l'atmosphère de Pépé le Moko. Encore, faut-il le préciser, ce fut-là une exception car réalisateurs et producteurs n'hésitaient pas à confier les rôles d'autochtone à des comédiens européens. « Et voici le romanesque vêtu à l'orientale, les jeunes caïds aux regards farouches, les chefs de tribus guidant les razzias, les visages voilés dans l'ombre des ruelles blanches. » Autrement dit, des images de pacotille, de négation, celles du Maghrébin en tant que sujet : nié, ridiculisé, caricaturé, personnage fruste maniant le couteau et tuant, bien entendu, lâchement. Dès lors, le mépris et le racisme seront érigés en mode de perception et ni les révoltes ni les contestations n'inspireront les cinéastes qui préfèrent le silence ou le refuge derrière la folklorisation à outrance. Que retenir, à présent, de ces millions de kilomètres de pellicule impressionnés par des réalisateurs débutants, médiocres ou inconnus ? La fabrication d'une image licite, celle du « petit blanc » déclinée sous la forme du colon, du métropolitain, du soldat ou du voyou, tous triomphant et celle illicite, interdite : le Maghrébin exclu de son propre espace et écrasé par son soleil. C'est aussi l'histoire d'un fiasco cinématographique dont l'origine remonte au début du XXe siècle, quand les opérateurs de la Société Lumière abordaient, sous le couvert de visions documentaires, des sujets révélant en fait leur idéologie foncièrement dominante. Les images de fiction réalisées sur le territoire conquis du Maghreb par leurs successeurs demeurent, aujourd'hui, des pièces à conviction. Elles prouvent, dans un autre registre, le rôle négatif de la colonisation. Evidence.