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Les nouveaux indigènes de la République
LE REVISIONNISME CONCERNANT LES CRIMES COLONIAUX
Publié dans L'Expression le 16 - 05 - 2005

Le 23 février 2005, le parlement français votait une loi sur «l'appréciation de la présence française» dans les pays anciennement colonisés, principalement colonisés.
Le 23 février 2005 le parlement français votait une loi sur «l'appréciation de la présence française» dans les pays anciennement colonisés, principalement colonisés. Au moment où l'Algérie, nous dit-on, s'apprête à signer un traité d'amitié avec la France, cette loi vient mettre fondamentalement en cause la perception qu'a la «patrie des droits de l'Homme» de la période coloniale. Pendant longtemps les pays colonisés ont été bercés d'illusions sur le fait que la France, sans condamner cette page noire de son histoire, prenait, cependant, ses distances vis-à-vis des «politiques» précédentes. C'est ainsi que la France est allée jusqu'à demander pardon aux Juifs français pour les 70.000 juifs déportés par l'Etat de Vichy sur ordre du pouvoir allemand. Pourtant, s'agissant du passé de la France en Algérie, le parlement, non seulement reste muet sur le génocide de mai 1945, mais de plus, promulgue une loi où on découvre la mission civilisatrice de la France Nous lisons dans cette loi: «L'histoire de la présence française en Algérie se déroule entre deux conflits : la conquête coloniale, de 1840 à 1847, et la guerre d'indépendance qui s'est terminée par les accords d'Evian en 1962. Pendant cette période, la République a apporté sur la terre d'Algérie son savoir-faire scientifique, technique et administratif, sa culture et sa langue, et beaucoup d'hommes et de femmes venus de toute l'Europe et de toutes confessions, ont fondé des familles sur ce qui était alors un département français. C'est en grande partie grâce à leur courage que le pays s'est développé. C'est pourquoi (...) il nous paraît souhaitable et juste que la représentation nationale reconnaisse l'oeuvre de la plupart de ces hommes et de ces femmes...» Suit l'article unique de cette proposition de loi, «L'oeuvre positive de l'ensemble de nos concitoyens qui ont vécu en Algérie pendant la période de la présence française est publiquement reconnue.» Envers et contre toute vérité historique, ces représentants défendent le mythe d'une colonisation généreuse et civilisatrice... «La nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes qui ont participé à l'oeuvre accomplie par la France dans les anciens départements français d'Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté française.» Elle reconnaît les souffrances éprouvées et les sacrifices endurés par les rapatriés, les anciens membres des formations supplétives et assimilés, les disparus et les victimes civiles et militaires des événements liés au processus d'indépendance de ces anciens départements et territoires et leur rend, ainsi qu'à leurs familles, solennellement hommage».
Oubliés donc, les centaines de milliers de morts, civils pour la plupart... les enfumades, les razzias meurtrières et systématiques et les spoliations de masse.. - le code infâme de l'indigénat, avec les 41 infractions, ce monument du racisme d'Etat, adopté le 28 juin 1881 par la IIIe République, les massacres «récents» de Sétif et Guelma perpétrés le 8 mai 1945 par l'armée française, le million de morts de la Révolution.
Singulière époque, étrange conception du «devoir de mémoire» qui se révèle partiel parce qu'il est partial.. Lutter contre cette loi, c'est pour les historiens, d'abord étudier les réalités, contribuer à sortir de sa marginalité l'étude du passé colonial et développer la réflexion sur la place du passé colonial dans les mémoires collectives. «Je n'enseignerai pas le bon temps des colonies!» tel est le mot d'ordre des enseignants qui protestent contre cette vision de l'histoire imposée dans les manuels pédagogiques.
Il est même à parier, écrit Laetitia Van Eeckhout, que cet article sera une référence de révisionnisme légal, de bâillonnement et de censure de l'activité intellectuelle, de recherche, d'enseignement de l'histoire. Il dit ceci: «Les programmes de recherche universitaire accordent à l'histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu'elle mérite. Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l'histoire et aux sacrifices des combattants de l'armée française issus de ces territoires, la place éminente à laquelle ils ont droit. La coopération permettant la mise en relation des sources orales et écrites disponibles en France et à l'étranger est encouragée.»
Les historiens Claude Liauzu, Gilbert Meynier et Gérard Noiriel, furent les initiateurs de la pétition «Colonisation: non à l'enseignement d'une histoire officielle», lancée dans Le Monde du 25 mars, se sont élevés haut et fort contre l'article 4 de la loi du 23 février 2005 «portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés».(1).
Que la loi leur impose une «vérité officielle, contraire à la neutralité scolaire et au respect de la liberté de pensée qui sont au coeur de la laïcité». Le malaise des historiens est d'autant plus grand qu'ils soupçonnent que cet article a été écrit sous la pression «d'activistes de la «nostalgérie». «Cette loi apparaît comme un règlement de comptes, c'est une instrumentalisation et une exploitation du passé, explique Claude Liauzu. Derrière cet article 4, il y a un groupe d'activistes qui a réussi à imposer son point de vue sur la guerre d'Algérie. On trouve des relents des activistes de cette guerre et un parfum d'OAS.»
Ce combat intellectuel engagé par les historiens contre «l'inacceptable» est, pour Gérard Noiriel, «d'autant plus important qu'aujourd'hui, on voit émerger des groupes qui tentent de confisquer l'histoire à leur profit». «Si l'Etat lui-même donne l'exemple de ces détournements partisans de l'histoire et si nous acceptons sans broncher, alors nous n'aurons plus d'arguments contre tous ces entrepreneurs de mémoire qui utilisent le passé pour cautionner leurs intérêts du présent.»
Mettre l'accent sur les aspects positifs de la colonisation, selon ce spécialiste de l'histoire de l'immigration, «ne peut que contribuer au sentiment d'humiliation (...) qui risque d'accentuer le repli sur soi». Le silence qui a entouré la promulgation de l'expression apoplectique d'une incontrôlable nostalgérie [colonostalgie plus généralement], renseigne sur la face immergée du fantasme toujours tenace de la pompafrique et de la vision figée d'une humanité ontologiquement inachevée ; pour peu qu'il s'agisse d'anciens colonisés, pis d'Arabes, de Noirs.
Dans le même ordre d'idées et s'agissant de l'enseignement de l'histoire, écoutons ce qu'en pensait Maurice Mashino: «Abreuvés d'images qui célèbrent, même si elles ne la nomment pas, la «mission civilisatrice» de la «métropole», ignorant presque tout des profits (matériels, symboliques) que «métropolitains» et colons tiraient de l'exploitation du peuple algérien, n'ayant jamais eu l'occasion d'analyser le système colonial dans ses manifestations «concrètes», telles que les ont subies les colonisés (racisme - dont aucun manuel, excepté le Bréal de terminale, ne dit mot -, injustices de toutes sortes, inégalités économiques, sociales, politiques, culturelles), ils ne sont pas à même de comprendre pour quelles raisons, sinon leur «fanatisme» ou leur «ingratitude», les «musulmans» se sont révoltés, ni pourquoi la France s'est opposée si violemment à leur «émancipation», comme disent pudiquement les livres de classe. «Comme les Algériens n'apparaissent pas dans leur condition d'«indigènes» et leur statut de sous-citoyens, comme l'histoire du mouvement nationaliste n'est jamais évoquée, comme aucune des grandes figures de la résistance - Messali Hadj, Ferhat Abbas - n'émerge ni ne retient l'attention, dit Benjamin Stora, bref, comme on n'explique pas aux élèves ce qu'a été la décolonisation».(2).
Dans un ouvrage récemment paru, les journalistes Dominique Vidal et Karim Bourtel ont recueilli de multiples témoignages de ce «mal-être arabe». «On devine le racisme dans les regards», raconte notamment un syndicaliste qui a vécu toute son enfance dans un village des Ardennes, mais n'en finit pas de devoir révéler ses «origines». Cofondatrice du collectif les Blédardes, Houria Bouteldja affirme dans le livre de Vidal et Bourtel : «De par mon origine algérienne, je sais que la République a contribué à l'humiliation du peuple dont je suis issue». Impossible pour elle «de séparer la question des discriminations, les problèmes économiques et sociaux, la répression et la question coloniale, la figure de l'indigène» continue de hanter l'action politique, administrative et judiciaire ; elle innerve et s'imbrique à d'autres logiques d'oppression, de discrimination et d'exploitation sociales». (3).
On comprend mieux dans ces conditions l'état d'esprit qui prévaut concernant tout ce qui n'est pas français de souche et à qui on ne peut imputer aucune faute. En clair, la mentalité paternaliste et partant, en creux, de la race supérieure, a amené les différents pouvoirs de droite ou de gauche à considérer avec une certaine suspiscion ces Français légués par l'histoire coloniale. Au départ, il y a un appel lancé par une dizaine d'associations et une trentaine de personnalités, intellectuels ou militants associatifs. Que dit ce texte brandi comme la revendication d'un héritage, et paru sous le titre «Nous sommes les indigènes de la République! »? Il dresse d'abord un constat qu'on ne saurait guère contredire de bonne foi.
Il est dit notamment dans cet appel: «Discriminés à l'embauche, au logement, à la santé, à l'école et aux loisirs, les personnes issues des colonies, anciennes ou actuelles, et de l'immigration postcoloniale, sont les premières victimes de l'exclusion sociale et de la précarisation. Indépendamment de leurs origines effectives, les populations des «quartiers» sont «indigénisées», reléguées aux marges de la société. Les «banlieues» sont dites «zones de non-droit» que la République est appelée à «reconquérir». Contrôles au faciès, provocations diverses, persécutions de toutes sortes se multiplient tandis que les brutalités policières, parfois extrêmes, ne sont que rarement sanctionnées par une justice qui fonctionne à deux vitesses.
«Pour exonérer la République, on accuse nos parents de démission alors que nous savons les sacrifices, les efforts déployés, les souffrances endurées. Les mécanismes coloniaux de la gestion de l'islam sont remis à l'ordre du jour avec la constitution du Conseil français du culte musulman sous l'égide du ministère de l'Intérieur. Discriminatoire, sexiste, raciste, la loi anti-foulard est une loi d'exception aux relents coloniaux».
«Tout aussi colonial, le parcage des harkis et enfants de harkis. Les populations issues de la colonisation et de l'immigration sont aussi l'objet de discriminations politiques. Les rares élus sont généralement cantonnés au rôle de «beur» ou de «black» de service. On refuse le droit de vote à ceux qui ne sont pas «français», en même temps qu'on conteste «l'enracinement» de ceux qui le sont. Le droit du sol est remis en cause. Pendant plus de quatre siècles, elle a participé activement à la traite négrière et à la déportation des populations de l'Afrique subsaharienne. Au prix de terribles massacres, les forces coloniales ont imposé leur joug sur des dizaines de peuples dont elles ont spolié les richesses, détruit les cultures, ruiné les traditions, nié l'histoire, effacé la mémoire. Les tirailleurs d'Afrique, chair à canon pendant les deux guerres mondiales, restent victimes d'une scandaleuse inégalité de traitement».(4).
«En Nouvelle Calédonie, Guadeloupe, Martinique, Guyane, Réunion, Polynésie, règnent répression et mépris du suffrage universel. Les enfants de ces colonies sont, en France, relégués au statut d'immigrés, de Français de seconde zone sans l'intégralité des droits. Dans certaines de ses anciennes colonies, la France continue de mener une politique de domination. Une part énorme des richesses locales est aspirée par l'ancienne métropole et le capital international. Son armée se conduit en Côte d'Ivoire comme en pays conquis.
«Le traitement des populations issues de la colonisation prolonge, sans s'y réduire, la politique coloniale. Non seulement le principe de l'égalité devant la loi n'est pas respecté mais la loi elle-même n'est pas toujours égale (double peine, application du statut personnel aux femmes d'origine maghrébine, subsaharienne...). La figure de l'«indigène» continue à hanter l'action politique, administrative et judiciaire ; elle innerve et s'imbrique à d'autres logiques d'oppression, de discrimination et d'exploitation sociales. Ainsi, aujourd'hui, dans le contexte du néo-libéralisme, on tente de faire jouer aux travailleurs immigrés le rôle de dérégulateurs du marché du travail pour étendre à l'ensemble du salariat encore plus de précarité et de flexibilité.
«La gangrène coloniale s'empare des esprits. L'exacerbation des conflits dans le monde, en particulier au Moyen-Orient, se réfracte immédiatement au sein du débat français. Les intérêts de l'impérialisme américain, le néo-conservatisme de l'administration Bush rencontrent l'héritage colonial français. Une frange active du monde intellectuel, politique et médiatique français, tournant le dos aux combats progressistes dont elle se prévaut, se transforme en agents de la «pensée» bushienne.
«Investissant l'espace de la communication, ces idéologues recyclent la thématique du «choc des civilisations» dans le langage local du conflit entre «République» et «communautarisme». Comme aux heures glorieuses de la colonisation, on tente d'opposer les Berbères aux Arabes, les Juifs aux «Arabo-musulmans» et aux Noirs. Les jeunes «issus de l'immigration» sont ainsi accusés d'être le vecteur d'un nouvel antisémitisme. Sous le vocable jamais défini d'«intégrisme», les populations d'origine africaine, maghrébine ou musulmane, sont désormais identifiées comme la cinquième colonne d'une nouvelle barbarie qui menacerait l'Occident et ses «valeurs». »
«Frauduleusement camouflée sous les drapeaux de la laïcité, de la citoyenneté et du féminisme, cette offensive réactionnaire s'empare des cerveaux et reconfigure la scène politique. Elle produit des ravages dans la société française. Déjà, elle est parvenue à imposer sa rhétorique au sein même des forces progressistes, comme une gangrène. Attribuer le monopole de l'imaginaire colonial et raciste à la seule extrême-droite est une imposture politique et historique. L'idéologie coloniale perdure, transversale aux grands courants d'idées qui composent le champ politique français».
«La République de l'égalité est un mythe. L'Etat et la société doivent opérer un retour critique radical sur leur passé-présent colonial. Il est temps que la France interroge ses Lumières, que l'universalisme égalitaire, affirmé pendant la Révolution française, refoule ce nationalisme arc-bouté au «chauvinisme de l'universel», censé «civiliser» sauvages et sauvageons. Il est urgent de promouvoir des mesures radicales de justice et d'égalité qui mettent un terme aux discriminations racistes dans l'accès au travail, au logement, à la culture et à la citoyenneté. Il faut en finir avec les institutions qui ramènent les populations issues de la colonisation à un statut de sous-humanité». (4).
«Nos parents, nos grands-parents ont été mis en esclavage, colonisés, animalisés. Mais ils n'ont pas été broyés. Ils ont préservé leur dignité d'humains à travers la résistance héroïque qu'ils ont menée pour s'arracher au joug colonial. Nous sommes leurs héritiers. «Nous, descendants d'esclaves et de déportés africains, filles et fils de colonisés et d'immigrés, nous, Français et non-Français vivant en France, militantes et militants engagés dans les luttes contre l'oppression et les discriminations produites par la République postcoloniale, lançons un appel à celles et à ceux qui sont partie prenante de ces combats à se réunir en assises de l'anticolonialisme en vue de contribuer à l'émergence d'une dynamique autonome qui interpelle le système politique et ses acteurs...Le 8 mai 1945, la République révèle ses paradoxes : le jour même où les Français fêtent la capitulation nazie, une répression inouïe s'abat sur les colonisés algériens du Nord-Constantinois : des milliers de morts. Le 8 mai, 60e anniversaire de ce massacre, poursuivons le combat anticolonial par la première Marche des indigènes de la République!(4).
La marche des «indigènes de la République» a effectivement rassemblé, dimanche 8 mai à Paris, plusieurs milliers de personnes selon les organisateurs, à l'occasion du soixantième anniversaire de la répression des manifestations algériennes de Sétif le 8 mai 1945. Il est à signaler qu'aussi bien les médias lourds que les journaux n'ont fait mention de cet événement. Il a ostensiblement été traité par le mépris. Souvenons-nous d'une affaire insignifiante et combien significatrice comme l'affaire du RER. -qui avait pour but l'accusation des beurs qui avaient molesté une Juive - a fait réagir dans l'heure qui suit, les ministres et le président de la République. C'est dire si la société française est bien prise en charge par une catégorie d'intellectuels qui lui indique ce qu'il doit aimer et haïr, naturellement martelé à longueur d'émissions par des médias qui leur sont dévoués.
Il y a, de ce fait, à coté de l'extrême-droite tout un courant de Français de profession qui, oublieux de leur origine aussi étrangère que celle des émigrés maghrébins ou des créoles, font dans la provocation et se proposent de combattre «le racisme anti-blanc» se plaçant d'emblée dans le camp de la race des Blancs et s'intronisant de ce fait, «chevalier sans peur et sans reproche» pensant se liguer avec l'extrême-droite contre les barbares - les Arabes - et les Antillais coupables d'avoir accueilli Dieudonné.
«Ainsi, et comme l'écrit Raphaël Confiant, depuis quelques semaines donc, le philosophe Alain Fienkielkraut se répand dans tous les médias, en particulier sur les Radios juives, pour stigmatiser les Antillais, en particulier les Martiniquais, au motif que ces derniers seraient tout à la fois des «assistés» et des antisémites, adeptes de Louis Farakhan. Mieux (ou pire) : la créolité serait une idéologie haineuse distillant un discours antiblancs et francophobe. Profitant des différents procès intentés à l'humoriste Dieudonné et des bagarres provoquées par des «casseurs noirs», venus des banlieues, à l'encontre des «lycéens blancs et juifs» lors des dernières manifestations contre la loi Fillon, il enfonce le clou en lançant une pétition nationale qui se révèle être un véritable appel à la haine antiNoirs, un manifeste de ce qu'on pourrait appeler la «mélanophobie».(5).
«Pour rappel, - en 1635, les Français débarquent dans une île peuplée depuis des millénaires par les Caraïbes. En moins de trente ans, ils massacrent ceux-ci jusqu'au dernier, continuant ainsi le génocide des Amérindiens entamé avant eux par les Espagnols et les Portugais. Vers 1660, et cela jusqu'en 1830, ils importent des centaines de milliers d'Africains qu'ils transforment en esclaves dans des plantations de canne à sucre, lesquelles contribueront pendant trois siècles à faire la fortune de la France. En définitive, Il faut quand même se souvenir que la traite des noirs déplaça entre onze et vingt millions d'esclaves de l'autre côté de l'Atlantique. Avant de la coloniser l'Occident a véritablement saigné l'Afrique de sa population. L'exploitation des mines et des plantations sur le continent américain exigeant sans cesse plus de bras, un véritable système de licence fut mis sur pied à partir de 1513 pour assurer aux Amériques un approvisionnement suffisant en «bois d'ébène», en esclaves africains. (5).
L'écrivain martiniquais répond à Alain Fienkielkraut à propos d'Israël : «Fort bien. Mais alors qu'on m'explique pourquoi, quand il s'agit d'un crime commis par un peuple, un Etat ou une civilisation bien particulière, on s'acharne à en dissimuler le nom ? Pourquoi ? Non, monsieur Fienkielkraut, si la Shoah est bien une abomination, elle n'a été mise en oeuvre ni par les nègres, ni par les Amérindiens, ni par les Chinois, ni par les Hindous, ni par les Arabes. Elle a été mise en oeuvre par l'Occident. Ce même Occident qui n'a cessé de pourrir la vie des Juifs depuis 2000 ans. Citons : La destruction du Temple de Jérusalem par les Romains en l'an 70 et dispersion du peuple Juif.. L'inquisition au Moyen-âge par les Espagnols. Les pogroms au XIXe siècle par les Russes et les Polonais. Les chambres à gaz par les Allemands au XXe siècle. La rafle du Vel d'Hiv' par les Français au même siècle, etc. etc.(5).
Ce ne sont pas les Juifs vivant dans les pays arabes, les Séfarades, qui ont dû fuir comme des dératés pour s'en aller construire un Etat où ils seraient enfin libres, mais bien les Juifs d'Europe, les Ashkénazes, parce qu'ils avaient compris qu'ils ne pouvaient plus vivre sur ce continent. Ma question à Alain Fienkielkraut est donc simple, naïve même : pourquoi après avoir subi tant d'avanies de la part de l'Occident, vous considérez-vous quand même comme des Occidentaux ? Pourquoi un ministre des Affaires étrangères d'Israël s'est-il permis de déclarer récemment: «Nous autres, Occidentaux, nous ne nous entendrons jamais avec les Arabes car ce sont des barbares».(5).
On comprend de ce fait, le Khérem biblique, sorte de croisade en pire, puisqu'elle vise l'extermination, de Finkielkraut qui s'est dépêché d'ameuter tous les intellectuels communautaristes - les Bernard Henry Levy, les Kouchner, les Elisabeth Schemla, les Alexandre Adler, célèbre pour sa nostalgie coloniale et de sa «République que l'on perd goutte à goutte». Tout ce beau monde pour contrer le manifeste des indigènes de la République en créant de toutes pièces le manifeste de ceux qui dénoncent le racisme antiblanc. Naturellement, au passage il règle les comptes, notamment celui des Antillais qui pour lui sont des assistés de la République et celui de Dieudonné coupable de dire qu'il n'y a pas que la Shoah qui soit un crime contre l'humanité.
Toute la presse bien-pensante d'Europe s'est émue du mot «barbares». Moi, ce qui m'a choqué par contre, c'est le terme «Occidentaux». Comment, monsieur Fienkielkraut, peut-on se réclamer de l'Occident après avoir subi l'inquisition, les pogroms, les chambres à gaz et la rafle du Vel d'Hiv'? Oui, comment? Quand vous déclarez, sur Radio Communauté juive, que nous détesterions Israël «parce que ce n'est pas un pays métissé», je préfère croire que vous voulez rire. Quel pays est plus muticulturel et plus multilingue qu'Israël avec ses blonds aux yeux bleus russophones, ses Noirs d'Ethiopie (Falashas) parlant l'amharique, ses Séfarades au type sémite et souvent arabophones et même ses Juifs indiens et chinois, sans même parler du million d'Arabes israéliens?»(5).
«Assimiler, écrit Jaxk Dahomay, c'est demander à l'autre de renoncer à sa propre culture. L'intégration républicaine ne doit pas exiger de l'autre le renoncement à sa propre culture comme cela a été fait dans le passé. Seule l'affirmation de cette identité politique commune, qui reconnaît pourtant publiquement la diversité culturelle, peut avoir valeur transcendantale et servir comme d'équivalent général permettant aux différentes cultures qui composent la France de s'interpénétrer, de circuler positivement, et d'enrichir la nation. En réalité, ce qui vous aura manqué cher M. Finkielkraut, c'est une certaine générosité vis-à-vis de la souffrance de l'autre même si nous devons tous condamner certaines formes d'expression de cette souffrance. Pourquoi intellectuels noirs, juifs et arabes ne pourraient-ils pas unir leurs voix pour faire taire cette guerre ouverte entre nos communautés?» (6).
Quel sens en définitive donner envers le révisionnisme visant à présenter sous un jour positif, l'enfer colonial? Est-ce que tous les Finkeilkraut, les B.H.L. et autres défenseurs de la race blanche en face des mélanodermes, pourra faire encore diversion en face de la réalité d'une société française à deux vitesses. Les Français du «deuxième collège» qui en sont la quatrième génération, seront-ils toujours jugés en fonction de leur passé, de leur identité culturelle et non de leur apport à la société française? Nul doute que la société française se barricade de plus en plus, rejetant les autres. N'est-ce pas en effet le président du Crif au soir du premier tour en 2002, avec la deuxième position aux élections, de Le Pen : «... Les Arabes n'ont qu'à bien se tenir...». Combien cette approche qui voile les vrais problèmes identitaires de la société française ne font que reporter le vrai débat sur ce que c'est que la laïcité, et qu'être français au XXIe siècle. Assurément, les pouvoirs publics s'en tiennent à la perpétuation des anciens schémas de l'assimilation-désintégration, dont on connaît le succès. Il est important pour les Algériens d'être vigilants. Ce qui se passe en France devient graduellement une dérive. Il ne saurait y avoir de traité d'amitié avec la France, si cette dimension culturelle se réduit à une régulation coercitive de l'émigration dite illégale. Cela ne saurait être l'apaisement auquel nous voudrions bien y croire de notre côté. Cette volonté est-elle celle de la France profonde ? La question reste posée.
Ecole nationale Polytechnique
(1). Laetitia Van Eeckhout : Des historiens fustigent une loi prônant un enseignement positif de la colonisation. Le Monde, le 15 avril 2005.
(2). Maurice T.Maschino : La colonisation telle qu'on l'enseigne. Le Monde diplomatique. Juillet 2003.
(3). www.politis.fr/article1300.html.
(4). Nous sommes les indigènes de la République ! Appel pour des assises de l'anticolonialisme postcolonial.
assiseanticolonialiste(a)yahoo.fr16 janvier2005.
(5). Raphaël Confiant, écrivain martiniquais.
http://www.bladi.net/reponse-a-alain-finkielkrault.htm.
(6). Jacky Dahomay professeur de philosophie au Lycée de Baimbridge (Guadeloupe).


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