-L'avenir du projet de gazoduc Galsi a fait l'objet de déclarations contradictoires. Vendredi, Reuters, citant des sources officielles, annonçait que Sonatrach menaçait de se retirer du projet, tandis que la compagnie pétrolière y opposait un démenti dimanche via un communiqué officiel. Que reflètent de telles contradictions à votre avis ? Il faut avant toute chose s'intéresser au contexte. Ce dernier est actuellement marqué par une libéralisation et une déréglementation du commerce du gaz en Europe. Soit une coexistence de transactions de court terme (marché spot) avec les transactions de long terme (contrats à long terme). Et le court terme finit toujours par orienter le long terme. Gazprom a inauguré une nouvelle manière de faire en cédant 15% de son gaz vendu dans le cadre de contrats à long terme au prix du marché spot. Une méthode que l'on veut imposer aux autres fournisseurs et donc à l'Algérie. Dans ce contexte, Sonatrach et ses partenaires devaient lancer un projet de gazoduc apportant 8 milliards de mètres cubes supplémentaires par an au marché européen, sans être sûrs de céder ce gaz à un prix permettant d'amortir l'investissement. Sonatrach se pose des questions sur ce point. Toutefois, la Russie s'apprête à lancer la réalisation d'un gazoduc d'une capacité de 63 milliards de mètres cubes sur le corridor sud, à savoir le South Stream, et devrait commencer à fournir du gaz au sud de l'Europe à partir de 2015. L'Algérie devra donc défendre ses parts de marché et je ne pense pas qu'elle renonce à la réalisation du Galsi. Elle ne doit pas céder sa place mais elle se doit d'exercer une pression sur ses clients. -Dans un contexte aussi difficile où la concurrence est de plus en plus agressive sur le marché européen, l'Algérie a-t-elle les moyens de défendre les contrats à long terme ? Dans les transactions gazières, le contrat à long terme permet un partage des risques. Le risque volume est pris en charge par le fournisseur, à savoir le producteur. Et le risque marché est pris en charge par le client. Si on nous impose de facturer au prix du marché spot, le fournisseur prendra seul en charge aussi bien le risque volume que le risque marché. Cette option ne peut pas fonctionner à long terme, car les fournisseurs vont finir par renoncer à apporter des volumes supplémentaires au marché européen. N'oublions pas que l'Union européenne dépend à hauteur de 55% du gaz extracommunautaire et elle le sera à 80% en 2030. -Les prix du gaz subissent actuellement des pressions en raison de la montée en puissance des gaz de schiste aux Etats-Unis. Néanmoins, et vu que certains pays comme le Japon sont prêts à renoncer au nucléaire, peut-on s'attendre à un redressement des cours sur le marché spot ? Le débouché américain a tari avec le développement du gaz de schiste. Aussi, les Etats-Unis pensent aujourd'hui à exporter leur gaz vu qu'ils ont des cycles de consommation opposés avec le marché européen. Cependant, le pays qui a créé actuellement une pression sur le marché européen du gaz n'est autre que le Qatar, qui a une capacité de liquéfaction de 77 millions de tonnes. Il est en train de déséquilibrer l'offre en Europe. Or, les Européens s'exposent au gaz qatari qui est un fournisseur volage. Il peut changer de destination s'il trouve une meilleure rémunération. Les Européens s'exposent aussi à une menace qui vient de marchés lointains qui émergent aujourd'hui et intéressent des fournisseurs comme le Qatar ou encore l'Algérie, et ce, grâce à l'évolution des méthaniers qui disposent aujourd'hui d'une plus grande capacité de transport. Les marchés asiatiques sont demandeurs de gaz, algérien notamment. -Ne serait-il pas plus intéressant aujourd'hui pour l'Algérie de s'orienter vers ces marchés lointains ? Le marché naturel de l'Algérie où elle réalise le plus de marge est celui du sud de l'Europe. Sur ce marché, l'Algérie est en train de subir une concurrence agressive. D'abord par le Qatar qui a multiplié par deux ses parts de marché en deux ans. L'Algérie a vu ses parts à elle reculer de 12% à 10%. De leur côté, les Russes, qui disposent de 23% de parts, engagent une manœuvre d'enveloppement du marché européen. Et à cela les Européens doivent être mis en garde. Car les Russes doublent la capacité du North Stream, la portant à 55 milliards m3/an. Et au même moment, ils lancent le projet South Stream qui fournira 63 milliards m3/an, attaquant ainsi l'Europe du Nord et l'Europe du Sud en même temps, se libérant aussi de leur dépendance vis-à-vis de l'Ukraine et de la Biélorussie pour ce qui est des routes de passage pour leurs gazoducs.L'Algérie est obligée de défendre ses parts de marché européen tout en explorant de nouveaux débouchés sur le marché asiatique.Le GNL, c'est l'avenir. L'Algérie est leader dans le GNL et elle doit s'imposer comme acteur majeur du marché, dans la construction et le management d'usines de GNL et non plus comme simple source. -Quelles pourraient être vos prévisions concernant l'évolution des prix à moyen terme ? A mon avis, l'horizon serait sombre et les prix du gaz risquent de baisser. Il y a une telle pression sur le marché européen que les prix du gaz vont être tirés vers le bas et s'aligneront sur le marché spot. C'est pour cela que l'Algérie doit accéder à l'aval gazier et à la génération électrique en Europe. Il faut qu'on laisse Sonatrach vendre des mètres cubes de gaz et des kW/h au client final. Il y a aujourd'hui un risque de guerre des prix. L'Algérie ne devra pas mener la bataille sur les prix mais sur l'accès au client final, pour maîtriser le risque marché et accueillir le gaz qatari et russe qui passera de menace à opportunité. Il y a des opportunités pour cela, notamment via des partenariats avec des groupes européens qui travaillent déjà en Algérie.