- L'Algérie doit beaucoup à Oscar Niemeyer. Que reste-t-il de lui, à présent ? Oscar Niemeyer va survivre mille ans. Il a été un architecte très en avance sur son temps. Je pense que toute son œuvre va être enfin comprise à partir d'aujourd'hui. Ce que l'Algérie doit à Oscar Niemeyer, c'est l'université de Constantine, dont il avait lui-même dit que c'était là son œuvre la plus importante, l'USTHB qui reste malheureusement inachevée et qui a été complètement dévisagée par les constructions anarchiques alentour, la Coupole du 5 Juillet dans son plus pur style et l'EPAU d'El Harrach. A présent, nous avons le projet de la grande bibliothèque arabo-latino-américaine. Il y a une dimension de l'homme qu'on ne connaît pas. Quand Boumediene avait demandé à Oscar Niemeyer de dessiner une université, celui-ci lui avait sobrement répondu : «On ne dessine pas une université, on la pense.» Et c'est ainsi que l'université a été définie au cours d'une réunion avec le ministre de l'époque, Mohamed Seddik Benyahia. Malheureusement, aujourd'hui, il n'y a plus la même conception de «penser».
- Outre le projet de la mosquée d'Alger qui a été mis en veilleuse et la bibliothèque arabo-latino-américaine dont les travaux devraient commencer en 2013, Oscar Niemeyer avait-il d'autres projets en Algérie ?
A l'époque, la mosquée d'Alger était un souhait personnel du président Boumediène. Alors qu'Oscar travaillait sur les universités, il s'était endormi sur sa planche et s'était mis à rêver de cette mosquée d'Alger. A son réveil, il a appelé Boumediène et lui a dit : «J'ai ta mosquée !» Arrivé au bureau présidentiel, Oscar lui a fait voir son croquis qui a subjugué Boumediène : «Tu m'as fait une mosquée révolutionnaire !» Et sobrement Oscar lui a répliqué : «Il va te falloir révolutionner la révolution car elle ne s'arrête jamais.» Quel dommage qu'elle ait sombré dans l'oubli. La bibliothèque reste l'un des derniers projets. Il y a eu une bataille politique à l'échelle internationale puisque la Syrie, qui se revendiquait comme une sorte de centre culturel du monde arabe, voulait abriter cette bibliothèque, mais le Brésil a fortement plaidé pour q'elle siège à Alger. Un concours avait été organisé par le ministère de la Culture qui ne voulait même pas, à l'origine d'Oscar Niemeyer. J'espère néanmoins que cette bibliothèque portera son nom, elle le mérite, et l'Algérie tout entière le mérite.
- Dans quel cadre avez-vous rencontré Oscar Niemeyer et quels souvenirs gardez-vous de lui ?
Comme je l'ai déjà dit, il m'avait fait appel pour la bibliothèque. A Rio, j'ai travaillé avec lui et avec ses collaborateurs. Il me parlait régulièrement de l'Algérie. Il m'avait fait une petite confidence que je vais vous confier. A l'époque de Boumediène, il avait offert à Bouteflika (alors ministre des Affaires étrangères, ndlr) un croquis d'un futur ministère des Affaires étrangères. Un grand diplomate brésilien, encore en vie, Arnaldo Carrilho, a pu voir ce dessin, il peut en témoigner. Personnellement j'ai été ému, et je le suis davantage encore, d'avoir travaillé avec Oscar Niemeyer. C'était un homme exceptionnel, qui malgré son âge avancé, travaillait 9 heures par jour, parlait 5 langues et était extrêmement lucide. Une dernière anecdote encore. Alors que j'étais au Brésil, j'ai pris un taxi. Et tout en discutant avec le chauffeur, je lui ai dit que je travaillais avec Oscar Niemeyer, ce qui l'a énormément surpris. Oscar est considéré comme un mythe vivant dans son pays. D'ailleurs le chauffeur m'a dit que jamais il n'aurait fait payer Oscar.