L'Egypte a vécu un vendredi de colère et de rebondissements. Des milliers de manifestants hostiles au président Morsi ont pris d'assaut le palais présidentiel, sous les cris «Dégage, dégage», bravant les chars de l'armée stationnés aux alentours. Mohamed Morsi, visiblement acculé, se dit prêt à reporter le référendum sur la Constitution. Le président égyptien «pourrait accepter de reporter le référendum sur le projet de Constitution, s'il a l'assurance que ce report ne rendra pas le texte caduc», a déclaré, hier en début de soirée, le vice-président Mahmoud Mekki. La tension reste vive en Egypte. Le pays a connu, hier, un vendredi de mobilisation générale à travers tout le territoire. L'opposition rassemblant des forces politiques démocratiques libérales et de gauche sous la bannière du Front du salut national, dirigé par le Nobel de la paix, Mohamed El Baradei, a refusé de participer au «dialogue» qui devrait se tenir aujourd'hui. Les forces révolutionnaires, dont le Mouvement du 6 avril, fer de lance de la révolution du 25 janvier 2011, ont elles aussi refusé de s'asseoir à la table de dialogue. Elles ont choisi la mobilisation. Des milliers d'Egyptiens se sont rassemblés devant le palais présidentiel d'Ittihadiya en banlieue du Caire pour exiger le retrait du projet de la Constitution que Morsi compte soumettre à référendum, le 15 décembre prochain. Le palais présidentiel, devenu haut lieu de contestation anti-Morsi, a été, durant la nuit de mercredi à jeudi, le théâtre de violents affrontements entre partisans et opposants au président Morsi. Bilan : sept morts et des centaines de blessés. Il était encerclé, hier, par des milliers de manifestants hostiles au président islamiste. La journée de mobilisation d'hier intitulée «Vendredi du carton rouge» sonne comme un dernier avertissement au président Morsi. Les manifestants ont repris les airs de l'insurrection du 25 janvier 2011 qui a fait chuter le pharaon, Hosni Moubarak. Le célèbre mot d'ordre «Le peuple veut la chute du régime ! – Moubarak dégage !» est ressorti par les insurgés. «Ni décret ni Constitution, tout le régime doit dégager», scandaient les manifestants qui ont investi les rues des principales villes du pays, du Caire à Alexandrie et de la mer Rouge à Assouan, en passant par la ville ouvrière d'El Mahala. Le pays est en situation quasi insurrectionnelle. Même Al Azhar, la plus haute autorité de l'islam sunnite, a demandé au président de «suspendre son décret pour sortir de l'impasse». L'Egypte vit au rythme d'un second souffle révolutionnaire. Le président Mohamed Morsi, issu de la confrérie des Frères musulmans, perd ses soutiens. Il est de plus en plus isolé. Quatre de ses conseillers ont démissionné pour contester la manière avec laquelle est gérée la crise. Les manifestants excédés par la violence des partisans du Président s'en sont pris aux sièges du Parti de la liberté et de la justice, bras politique de la confrérie. Son siège national, qui se trouve à El Mokatem, faubourgs du Caire, a été ravagé par les adversaires de Morsi. Une première. L'Egypte donne l'image d'un pays divisé en deux. Les Frères musulmans veulent s'emparer de tous les pouvoirs face au reste des forces politiques déterminées à défendre les acquis de la révolution. Le Front du salut national s'est dit engagé à «continuer d'user de tous les moyens légitimes pour protéger les droits et les libertés des Egyptiens et remettre la révolution sur les rails». Réagissant au discours du président Morsi, le porte-drapeau de l'opposition, Mohamed El Baradei, a déclaré, hier, que l'opposition ne prendrait pas part au dialogue proposé par Morsi «parce qu'il ne s'agit pas d'un vrai dialogue et que le président a feint d'ignorer les revendications du Front, à savoir le retrait de la déclaration constitutionnelle et l'annulation de la tenue du référendum sur la Constitution prévu pour le 15 décembre». El Baradei exige également «l'ouverture d'une enquête indépendante pour mettre toute la lumière sur les tragiques événements de mercredi soir et traduire les auteurs et commanditaires devant la justice». Le bras de fer entre un président de plus en plus fragilisé et une opposition plus que jamais unie et déterminée précipite le pays vers le chaos. Les plus alarmistes évoquent même le risque d'une guerre civile. Depuis l'annonce du décret offrant au Président des pouvoirs absolus, le pays du Nil est entré dans une grave crise qui a débouché sur des affrontements violents. Les observateurs s'interrogent sur l'attitude qu'aura l'armée au cas où la situation sombre dans la spirale de la violence. Jusque-là, elle reste confinée dans le silence. Le ministre de la Défense et président du Conseil suprême des forces armées, Abdul Fatah Al Sissi, est connu pour ses sympathies avec les Frères musulmans. Connu également pour ses penchants conservateurs, il est le premier chef des armées à ne pas avoir participé à la guerre de 1973 contre Israël. En somme, près de six mois après son arrivée au pouvoir, le président égyptien, Mohamed Morsi, trône désormais sur un pays plus que jamais divisé.