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«Il y a un appétit remarquable pour la lecture numérique dans les pays émergents» Eric Briys. Spécialiste en finance et cofondateur de la bibliothèque Cyberlibris
Le marché du livre numérique est certes récent, mais le développement vertigineux des nouvelles technologies — Internet et supports mobiles — accélère la cadence et met en danger le support papier. Outre sa mobilité et son coût relativement bas, il n'en demeure pas moins que le marché reste embryonnaire, et ne représente que 0,5% du chiffre d'affaires global du marché du livre aux Etats-Unis. Eric briys, l'un des co-fondateurs de la bibliothèque numérique Cyberlibris, développe dans cet entretien le modèle économique sur lequel repose le livre numérique et ses perspectives d'avenir. -En 2001, vous avez créé l'abonnement forfaitaire au livre numérique par le biais de Cyberlibris. Pourquoi avoir choisi un tel créneau, et où en est aujourd'hui votre bibliothèque ? Cyberlibris a été fondée en 2001. La vision de ses fondateurs part du principe que le livre numérique ne peut et ne doit pas être envisagé de la même façon que le livre Gutenberg. Il doit lui être orthogonal tout en lui empruntant ce qui en fait un passeur de savoir et un véhicule de détente remarquable. Le livre numérique parce qu'il est numérique doit être pensé au sein de l'espace qui est le sien. Son contenu s'émancipe de son contenant. Mais, il n'y a aucune raison pour que cette émancipation soit le théâtre d'une collision entre deux univers pourtant a priori incompatibles. Le web est synonyme de fluidité. Il est l'opposé de la fixité caractéristique du livre Gutenberg. Les chantres du web louent cette fluidité issue d'un souci constant d'éradiquer les frictions, les coûts de transaction. Le simple hyperlien permet de passer d'un article en ligne à une vidéo qui elle-même conduit à d'autres vidéos. Un blog permet d'écrire en ligne. Le partage y est immédiat. Les altérations apportées au texte publié en ligne le sont aussi. Tout bouge autour de l'internaute qui est, du coup, enclin lui aussi à bouger. Le contraste est saisissant entre la lecture concentrée, presque ascétique, d'un livre Gutenberg et la lecture papillonnante qu'implique le web. Le livre numérique doit être pensé dès le départ au sein de bibliothèques numériques aux usages et fonctions multiples fédérées par les communautés spécifiques qui les animent : éducation, entreprise, famille... Une bibliothèque traditionnelle est la bibliothèque de l'institution ou de l'individu qui l'ont bâtie. Avec Cyberlibris, la bibliothèque numérique est commune aux institutions ou aux individus qu'elle fédère : ScholarVox Management (www.scholarvox.com), par exemple, est la bibliothèque commune à une centaine d'écoles de commerce françaises, suisses, marocaines, algériennes, sénégalaises, maliennes, brésiliennes... Il en ressort une intelligence collective remarquable dont le décodage est une vraie finalité. De cette vision découle un modèle économique simple d'abonnement forfaitaire. La simplicité est celle de l'abonnement forfaitaire, qu'il soit institutionnel ou individuel. La bibliothèque numérique offre l'accès à des contenus dont la vocation est de couvrir les besoins de pédagogie, d'apprentissage, de formation, d'information, de culture de ses usagers. De ce point de vue, elle agit un peu comme une compagnie d'assurance qui couvre les sinistres intempestifs (d'information) subis par ses assurés. L'abonnement institutionnel à la bibliothèque numérique et à ses services est donc une forme d'assurance de groupe souscrite par l'institution (école, université, bibliothèque etc.) au bénéfice de ses membres. Une compagnie d'assurance ne fait généralement pas faillite, car la loi des grands nombres joue en sa faveur. Tous les assurés ne sont pas sinistrés en même temps. Il en va de même pour l'abonnement : il repose sur une loi des grands nombres de la lecture. L'abonnement individuel à la bibliothèque numérique est une forme d'assurance individuelle à un service qui couvre les besoins de lecture quelles que soient leurs origines : détente, culture, référence, etc. La métaphore de l'assurance indique clairement que le montant de l'abonnement est déterminé par l'intensité des usages de la même façon que la fréquence et l'intensité des sinistres déterminent le prix de l'assurance. -Quels sont les prix pratiqués pour les abonnements ? Pour déterminer le montant de l'abonnement, il faut développer un véritable actuariat des usages et des contenus. Ce montant, s'il est correctement appréhendé, garantit une juste rémunération aux ayant-droits et à Cyberlibris et il assure un retour sur investissement adéquat à l'institution abonnée. Son niveau est jugé raisonnable (parce que correspondant à des usages) et, toutes choses égales par ailleurs, le client est enclin à renouveler un abonnement qui lui assure un grand confort d'utilisation. Cette expertise tarifaire est l'une des forces de Cyberlibris qui a été historiquement la première entreprise à promouvoir le modèle de l'abonnement numérique auprès de l'industrie du livre. Cette simplicité, si elle est communément admise, bute parfois sur une frustration : celle de n'être que locataire et jamais propriétaire des livres. Cette frustration, si l'on en comprend les ressorts psychologiques, mérite que l'on s'y arrête. C'est vrai, l'abonnement privilégie la notion d'accès à celle de propriété. Mais, encore faut-il que l'on s'entende sur ce que propriété veut dire. Lorsqu'un manuel universitaire est acheté (électronique ou pas), de quoi est-on propriétaire ? D'un millésime, d'une année de publication. On reste locataire de l'auteur. Trois ans plus tard, une nouvelle édition paraît et efface l'ancienne. Les usagers exigent naturellement la nouvelle édition. Si le livre a été acquis initialement pour 45 euros, l'amortissement est de 15 euros par an. On aura donc été pendant trois ans locataire de l'auteur à raison de 15 euros par an. La troisième année, il faudra renouveler la location afin d'être à jour et, ensuite, procéder au désherbage des anciennes éditions qu'on n'a pas la place de stocker et qui d'ailleurs n'en valent ni la peine ni le coût. On imagine mal, en outre, qu'il faille un jour désherber des fichiers numériques, qu'ils soient dans les nuages (le grenier ou la cave ?) ou pas. L'abonnement n'est donc pas si contraignant qu'une lecture hâtive «propriété vs. location» pourrait le laisser accroire. Certes, l'abonnement paraît dessaisir la maison d'édition de ce privilège régalien qui est le sien de fixer le prix. C'est précisément toute la différence entre fixer le prix d'un livre et celui de la lecture. L'éditeur fixe le prix du livre dont il ne sait d'ailleurs pas si une fois acheté il sera lu immédiatement ou pas. L'abonnement fixe celui de la lecture, lecture qui est profondément dépendante du temps que l'on voudra bien lui accorder. -Quels sont vos clients et quelle est l'intensité de leur activité ? Nos clients se répartissent en trois catégories : Clients académiques : écoles, collèges, lycées, universités, grandes écoles, par exemple http://cdi.scholarvox.com ou encore http://international.scholarvox.com Clients entreprises : institutions financières (http://bibliotheque.revue-banque.fr), fonction publique (http://bnt.execvox.com), entreprises (www.execvox.com) Grand public : bibliothèques municipales, départementales et Instituts français (www.bibliovox.com), familles (www.smartlibris.com) Ils sont situés en France, Belgique, Maghreb, Afrique, Brésil, Colombie, Canada, Corée du Sud, etc. Notre conviction est simple : il existe une bibliothèque numérique pour chaque âge de la vie, et c'est chacune de ces bibliothèques que nous façonnons avec passion.Les consultations annuelles se comptent aujourd'hui en dizaines de millions de pages lues. Plusieurs centaines de milliers de livres sont présents dans des étagères individuelles. L'intensité de ce trafic s'accentue chaque jour. -Le marché du livre numérique est embryonnaire même dans les pays les plus avancés (Japon, Etats-Unis, Europe…). Que dire alors du marché dans les pays émergents et dans les pays africains dont l'accès à Internet est des plus faibles ? Il y a en fait une sorte de paradoxe : l'endroit où l'on parle le plus de livres numériques n'est pas forcément le plus pertinent. Il ne passe plus un jour sans que l'on ne parle du Kindle d'Amazon, de Kobo, de Google, d'Apple. Ce n'est pas pour autant d'ailleurs que l'on peut en tirer des statistiques fiables. Amazon, par exemple, ne donne aucun de ses chiffres. Et puis, les chiffres ne sont pas comparables (abonnement vs. téléchargement) : on ne peut aisément les cumuler. En revanche, dans les pays émergents dont on parle peu, nous voyons un appétit remarquable pour la lecture numérique. Là où le livre papier fait par ailleurs défaut, il est évident que le livre numérique apporte des solutions à toute une variété de problèmes. On peut regretter que ces succès ne soient pas plus relatés. Qu'en est-il en Algérie, sachant que dans l'un des supports du livre numérique, à savoir le mobile est à la traîne (le pays est encore à la 2G) C'est l'éternel problème de l'œuf et la poule. Qui vient le premier ? Quand nous avons commencé en France en 2001, il n'y avait pas d'ADSL, peu de ménages étaient équipés, etc. Et, pourtant, regardez aujourd'hui. L'enjeu n'est pas la photo du moment. A ce compte là, on ne ferait jamais rien. Ce qui importe, c'est ce mouvement inéluctable et global qui fait qu'aucun territoire aujourd'hui ne peut se permettre de rester déconnecté du reste du monde. Nous sommes actifs en Algérie et fiers des niveaux de consultations que nous y enregistrons. -Le volet législatif — droits de propriété intellectuelle, fiscalité, mode de fixation du prix — est-il un handicap ? Non. ça l'est lorsque les lobbies, quels qu'ils soient, défendent leurs pré-carrés. Nous avons démontré en 2001 qu'il est possible de faire différemment. Aujourd'hui, trop nombreuses sont les tentatives de préserver cette fameuse chaîne du livre (qui du coup porte bien son nom). Il vaut mieux la repenser en prenant en compte tout ce que le numérique permet et que le physique ne permet pas ou plus. Il faut que les différents acteurs, anciens et nouveaux, cessent de se regarder en chiens de faïence, de se méfier les uns des autres. Seul le lecteur compte. C'est pour lui que l'auteur écrit. Alors, battons-nous pour que cette lecture soit encore plus présente, plus accessible. -Le piratage et le téléchargement gratuit sont-ils les pires ennemis du livre numérique ? Non. C'est le signe d'une demande qui ne souhaite qu'une chose : être assouvie. Il fut un temps, lors de la prohibition de l'alcool des années 30 où il était intéressant d'avoir un alambic dans sa baignoire. Qui aujourd'hui a encore ledit alambic dans sa baignoire ? -Quel avenir pour le marché du livre numérique ? Le support papier est-il appelé à disparaître ? Parlons peu, parlons bien. Certains livres ne méritent pas le papier sur lequel ils sont imprimés ! Non, les deux vont coexister. On n'efface pas du jour au lendemain une industrie vieille de six cents ans! Et puis, le papier aujourd'hui c'est d'abord du stock, du besoin en fonds de roulement et des livres qui finissent au pilon ou à l'incinérateur. Il vaudrait beaucoup mieux les imprimer à la demande si telle est la demande.