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Adieu le livre papier?
AVÈNEMENT DU LIVRE NUMERIQUE 2.0
Publié dans L'Expression le 29 - 09 - 2012

Les ventes de livres numériques ont dépassé en valeur les ventes de livres papier
«Man Build no structure outlives a book»; «Aucune structure créée par l'homme ne survit à un livre» Eugene Fitch Ware (1841-1911).
Le Salon du livre (Sila) a drainé comme d'habitude, les foules des inconditionnels. On y trouve de tout. De ceux qui viennent voir sans acheter, de ceux qui viennent acheter sans voir, certaines fois en quantité et, naturellement, de ceux qui attendent qu'on leur offre le livre. On dit même que les ministres prennent le temps de lire... Cependant, on sent tout de même que l'édition est à la peine. Les encouragements ne seraient pas suffisants et l'édition algérienne n'a pas les moyens de son ambition car parasitée par les importations de livres moins taxées.
" Je méditerai, tu m'éditeras. " Cette délicieuse boutade de Voltaire explique mieux que mille discours la communauté de destin de l'éditeur et de l'auteur... Le livre vieilli disparaitra-t-il? Un écrivain et un éditeur qui ne travaillent plus ne sont pas productifs bien longtemps. Ces deux professions sont absolument indissociables l'une de l'autre. Cette civilisation de l'éphémère aura -t-elle raison du papyrus, du parchemin qui ont résisté au temps pour nous proposer à la place un livre numérique, langage binaire, qui présente le lourd handicap d'être imaginaire, labile?
Pourtant il semble qu'aux Etats-Unis, le livre numérique dépasse le livre papier. Nous lisons une contribution de Rue 89: " Un cap a été franchi: pour la première fois au premier trimestre 2012 aux Etats-Unis, les ventes de livres numériques ont dépassé en valeur les ventes de livres papier. Selon le site ZDnet.fr qui rapporte ces chiffres, les ventes de livres électroniques ont augmenté de 28% par rapport au premier trimestre 2011, pour atteindre 282,3 millions de dollars (227 millions d'euros) générés. Les éditions traditionnelles en papier ont quant à elles enregistré une augmentation nettement inférieure, à hauteur de 2,7%, pour atteindre 229,6 millions de dollars (184 millions d'euros). Seul le secteur des livres pour enfants échapperait à cette évolution, selon le site. Ces chiffres confirment la tendance enregistrée il y a déjà dix-huit mois sur le site de vente en ligne Amazon, à l'origine de la liseuse numérique Kindle, et qui avait déjà vu les courbes de vente se croiser au profit des livres numériques. Depuis, le nombre de supports de lecture numérique s'est démultiplié, en particulier avec le succès de l'iPad d'Apple. Ces derniers jours, Microsoft et Google ont chacun annoncé le lancement de leur propre tablette numérique, destinée à concurrencer l'iPad, sur laquelle il sera notamment possible de télécharger et de lire des livres. (..)C'est évidemment la diffusion des tablettes et liseuses qui génère les achats de livres en ligne. Chaque période de fêtes voit ainsi le nombre de liseuses croître de manière considérable, et l'offre de livres s'étoffer.(1)
Pour Hubert Artus et Pierre Haski: " La question n'est pas nouvelle: le livre électronique va-t-il tuer le livre papier? (...) Lancé à grand renfort de publicité le Kindle permet de télécharger en wifi (contrairement au Reader de Sony qui doit être relié à un ordinateur), un livre entier à moins de dix dollars (ça ne se passe pour l'instant qu'aux Etats-Unis), d'en stocker jusqu'à 2000, de faire des recherches de mots ou de phrases sur tout le livre, de recevoir aussi son journal ou son blog favori, et le tout dans un confort de lecture et de navigation apparemment agréables. (...) D'entrée de jeu, Amazon offre un catalogue de 88 000 titres, et a poussé les éditeurs américains à numériser tous leurs nouveaux livres. Partant de ce constat, les auteurs s'interrogent si la bataille est perdue pour le livre papier: " S'agit-il seulement d'un beau gadget à 399 dollars opportunément lancé à la veille de Noël? Ou bien s'agit-il réellement du début d'une révolution technologique qui, comme le MP3, va transformer tout un secteur, celui de l'édition, de la librairie, en un mot, de la lecture? Voire, conduire à l'extinction de l'impression papier, comme le pronostiquent quelques gourous techno. Les avis sont partagés sur l'ampleur de cette révolution. (...) Pour le P-dg de Grasset, Olivier Nora, le papier restera pour de longues années encore le support privilégié de la littérature. La numérisation des livres est primordiale. " Pour avoir téléchargé quelques classiques, j'ai été stupéfait de ce qu'elle facilitait dans une optique de recherche: détection d'occurrences, relevé d'indices stylistiques, navigation accélérée à l'intérieur du texte... Et je n'ose pas imaginer, en termes d'intertextualité, ce qu'une bibliothèque numérique, intégrant au passage la production contemporaine, ouvrirait comme possibles. " (2)
" Pour une fois que la technologie se met au service de la littérature, je n'ai vraiment pas envie de cracher dessus. Mais ceci pose effectivement problème, notamment dans le cas du roman. La littérature n'est ni divisible, ni " résumable", de la même façon que les films, la musique ou le spectacle vivant ne le sont pas. Toutefois, qui s'indigne aujourd'hui du chapitrage des films en dvd? Je suis le premier à regretter cette atomisation de l'art. Dans notre société liquide, nos " livres brisés" (pour reprendre Serge Doubrovsky) sont des grumeaux. (...) Je continuerai à défendre la littérature comme rempart nécessaire à la société de la vitesse et des flux. Dans la mesure des forces et des faiblesses de mon écriture, je m'évertuerai à garantir l'autonomie de mes romans, leur continuité, leur valeur. " (2)
Ceux qui sont pour la mort du livre
Lire, lire, lire, ce n'est pas ça l'important? Avoir envie de feuilleter un livre, et le feuilleter. Entendre parler d'un auteur, et se mettre à lire le premier chapitre dans la foulée. Tant de désirs de lecture se perdent faute de trouver leur objet. Est-ce un hasard si les Archives nationales ont choisi... le papier et l'encre comme " supports longue durée "?
La mort du livre papier? Qui s'en plaindrait dans ce cas? Ce sont les arbres -qui sont sacrifiés pour fabriquer du papier- qui vont être contents du fait que la nature est préservée. Et puis les lecteurs car les livres au format électronique (PDF, CHM, Html) sont moins chers, ils ne se dégradent pas au fil du temps, ils sont copiables (ordinateur de bureau au travail, laptop à la maison, etc.), pas besoin de les transporter sous le bras dans les transports en commun, ils tiennent sur une clé USB (50 grammes au lieu de 3 kg), et puis ils sont livrés instantanément en téléchargement immédiat (au lieu d'attendre une à deux semaines).
Il ne s'agit pas de connection wifi mais d'une technologie type 3G = le " livre numérique " est toujours disponible pour se remplir de nouveaux contenus, et n'a pas besoin d'ordinateur. A la différence du téléphone, cette connexion est gratuite et illimitée. Les chapitres 1 sont tous en accès libre, d'où des découvertes gratuites. Un bol d'air frais face aux livres en piles. Le dico intégré est compris, c'est même une encyclopédie.
Enfin! vive l'e-book, on pourra télécharger toute la littérature du monde gratuitement sur les p2p!
Nous rapportons ci-après les réactions nuancées d'un libraire pourtant concerné au premier chef, il met en garde contre la " fausse gratuité ": " Etant éditeur, je suis pour ma part absolument favorable au livre électronique, car ce qui compte avant tout est le contenu et sa diffusion. Qu'importe le flacon... Ceci étant, il est peu probable que ce support, s'il est correctement géré, supplante le papier. L'informatique, d'une manière générale, n'a pas remplacé le papier, puisqu'au contraire, elle a plutôt tendance à en générer. Par ailleurs, il restera toujours un noyau dur d'inconditionnels du papier. C'est donc au modèle économique qu'il faut prendre garde. Si le but est, comme le disent ici certains lecteurs, d'aller vers une absolue gratuité, qu'ils prennent garde au retour de bâton. Alors, s'il s'agit de proposer sous format numérique des oeuvres existantes ou à venir, telles qu'elles seraient publiées en papier, et que toute la chaîne continue de gagner sa vie, c'est une initiative que les éditeurs ont intérêt à soutenir. S'il s'agit, via un téléchargement gratuit, de proposer des écrits bruts de décoffrage, n'ayant subi aucune correction, je vous invite à parcourir un manuscrit de Blaise Pascal (entre mille autres), pour vous rendre compte de ce qui vous attend. "
Les inconditionnels du livre papier
On a beaucoup parlé de la bibliothèque numérique et des dissensions de la France avec Google qui voulait numériser à tour de bras. On dit qu'après réflexion et malgré le tapage du livre numérique, les Archives nationales françaises ont choisi... le papier et l'encre comme " supports longue durée "? Certains s'interrogent sur cette nouvelle forme de lecture dans la durée. Comment ferez-vous pour relire en ".pdf " Les Misérables de Victor Hugo dans 800 ans? Il semble que les lecteurs, qui achètent des livres en " veulent pour leur argent " car, c'est un investissement. Ils apprécient les livres, ils aiment les feuilleter, les ranger, les perdre, les prêter, les déchirer, les jeter, peu importe... ils ont acquis une chose concrète - un livre - et cela ne peut se comparer à l'acquisition d'un titre MP3, puisque la musique par nature, se passe de tout support, ni à celle d'un fichier d'info en PDF ou DViX, puisque l'info évolue sans cesse, est accessible partout, et n'a pas d'autre valeur que celle de son contenu.
Nous proposons au lecteur quelques appréciations d'un auteur anglais qui défend le livre:
" Les collections de livres rares ne sont-elles pas condamnées à l'obsolescence à présent que tout est disponible sur Internet? Google emploie des milliers d'informaticiens mais, pour autant que je le sache, pas un seul bibliographe. Les livres ont aussi des odeurs particulières. Selon un sondage récent auprès d'étudiants français, 43% d'entre eux considèrent l'odeur comme l'une des qualités les plus importantes des livres imprimés....
Quelles seraient les conséquences du développement du livre numérique?
Les collections de livres rares sont un élément vital des bibliothèques de recherche, élément le plus inaccessible à Google. Les bibliothécaires expurgent leurs rayonnages des journaux, soutient-il, parce qu'ils sont mus par une obsession erronée du gain de place. Et ils s'abusent eux-mêmes en croyant que rien n'a été perdu parce qu'ils ont remplacé les journaux par des microfiches. Le livre numérique, qui viendra compléter la grande machine de Gutenberg, non s'y substituer. (3)
Aymeric Monville, directeur des Editions Delga en France, dresse un réquisitoire sans concession de la marchandisation de la culture par l'introduction du cheval de Troie constitué par les TIC. Pour lui c'est la mise à mort du livre papier, des métiers du livre... et des lecteurs. Nous lisons: " Après le coup de pied de l'âne du gouvernement que représente cette augmentation sournoise de la TVA sur le livre, l'on a vu, à juste titre, les libraires monter en première ligne. (...) Mais il faut aussi savoir que le métier de libraire est également menacé par les offensives pour imposer le livre numérique, dont on parle moins, de peur souvent de passer pour "technophobe". Ce respect inconditionnel pour tout ce qui est nouveau, véritable fétichisme de la marchandise, pousse même à présenter comme une panacée l'équipement des librairies en appareils permettant de commander des livres numériques, en nous faisant croire que le libraire continuerait à jouer un rôle de conseiller auprès de la machine, alors que, à terme, c'est la librairie qui est menacée de disparition. " (4)
L'auteur décrypte la genèse de ce sourd combat: " Cela fait plus d'une dizaine d'années que l'on cherche à imposer par le marketing, des tablettes numériques souvent plébiscitées par un public qui n'a qu'un rapport lointain au livre. (...) Le problème, c'est que le livre numérique induit d'autres pratiques touchant toute la chaîne du livre: - la fragilisation de la librairie, maillon le plus faible de la chaîne du livre; - la concentration accrue de la chaîne du livre entre les mains de quelques géants, leur monopole permettant une augmentation des prix à terme et une désertification de la production éditoriale; - le changement des pratiques de lecture, et par là, du rapport au texte. " (4)
Il prédit la mort du livre si on persiste dans cette voie: " Bref, le terminal portable et les fichiers qu'il permet de consulter, ce qu'on appelle abusivement "livre numérique", ne peuvent déboucher que sur une chose, si par malheur ce produit se développait: la mort du livre. Et en même temps de tout le "peuple du livre": libraires bien sûr, mais aussi imprimeurs, diffuseurs, distributeurs, magasiniers, représentants (les premiers lecteurs des livres après les directeurs éditoriaux), bibliothécaires, éditeurs, etc., et au final... auteurs et lecteurs. Cela peut, à terme, entraîner un changement de société mais également une véritable mutation anthropologique. (...) Les grandes firmes le savent bien et ont tout intérêt à vouloir remplacer la lecture attentive par "l'animation machinale" dont parlait déjà le philosophe Michel Clouscard (le Capitalisme de la séduction). " On nous dira qu'on peut, avec un livre numérique, "se balader avec une bibliothèque sur soi". L'essentiel dans l'affaire, c'est qu'avoir une bibliothèque sur soi, ce n'est pas forcément "savoir lire". Et "savoir lire", ce n'est pas seulement être alphabétisé. "Savoir lire", cela demande du silence, du calme et bien sûr du temps pour soi. On le comprend, défendre la librairie, les bibliothèques, la variété éditoriale, le livre papier, c'est le front le plus important contre l'aliénation.(4)
Par nostalgie, par fidélité ou simplement par réalisme, je pense pour ma part que le support papier est bien loin de tomber en désuétude. Le livre relié quelle soit sa matière première, a encore de beaux jours devant lui quelles que soient les avancées technologiques. Les livres sont notre histoire, la preuve concrète de ce que nous sommes. On en reparlera dans 200 ou 300 ans, s'il reste quelque chose de cette planète, peut-être. Il est bien toujours là et moi je prédis la mort du gadget électronique bien plus rapidement. Le livre papier a trop d'avantages par rapport à ce gadget, c'est pas comme ça qu'il va disparaître.
L'heure n'est pas à la reddition. L'écriture et la lecture dépasseront - toujours - les accros au binaire. D'autres l'ont dit avant moi et mieux que moi: il y a une relation " sensuelle " avec un livre en papier qui ne saurait exister avec un kindle... et quelle joie d'errer sans fin chez les bouquinistes ou dans les librairies à la recherche du livre rare. Cette nostalgie n'est pas indexée, a besoin d'un support palpable et non du 0 et du 1. Les livres, on peut les prêter, on peut les laisser sur un banc public, on peut en offrir et en recevoir. Le livre, c'est du lien. C'est le dernier lien, il faut y tenir. L'hibouc, (l'e-book) c'est la solitude. " J'ai toujours imaginé que le paradis était une sorte de bibliothèque " disait Jorge Luis Borges. Je suis d'accord.
1.http://www.rue89.com/rue89-culture/2012/06/28/aux-etats-unis-le-livre-numerique-depasse-pour-la-premiere-fois-le-papier
2http://www.rue89.com/2007/11/25/amazon-presente-son-kindle-vers-la-mort-du-livre-papier
3.Léo Mabmacien http://bibliomab.wordpress.com/2011/02/03/lapologie-du-livre-par-robert-darnton-non-le-livre-papier-nest-pas-mort/
4.http://www.humanite.fr/tribunes/vers-la-mise-mort-du-livre-papier-des-metiers-du-livre%E2%80%A6-et-des-lecteurs-495065


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