Tous les jours sous une pluie battante ou un soleil de plomb, des bambins, à peine plus haut que trois pommes, se tiennent aux abords des autoroutes pour vendre des galettes de pain soigneusement préparées par leur maman. Ils scrutent les voitures qui passent en trombe, les yeux inexpressifs, les visages graves d'enfants embourbés trop tôt dans les difficultés et les vicissitudes de l'existence. Alors que d'autres chérubins de leur âge s'adonnent en toute insouciance à des activités ludiques ou font leurs devoirs scolaires, ces innocents, tels des légionnaires, sont réquisitionnés pour subvenir aux besoins de la famille et arrondir des fins de mois de parents dont les revenus sont dérisoires, voire inexistants. Ils font l'école buissonnière, malgré eux, pour travailler qui comme receveur de bus, qui comme serveur dans un café maure. D'autres font la tournée des foyers pour faire la collecte du pain rassis, au profit de maquignons, pour servir d'aliment de bétail. Mais il y a pire. Quel affreux destin que celui d'un enfant dont le lot quotidien se réduit à côtoyer détritus et ordures ménagères dans les décharges publiques pour ramasser les produits recyclables afin de glaner quelques sous en les revendant. Là est sans doute le visage le plus hideux de la misère dont les premières victimes sont des enfants spoliés de leur innocence. Le ministère du Travail et de la Solidarité sociale s'enorgueillit du fait « qu'aucune forme inhumaine, dégradante et d'extrême exploitation de la personne de l'enfant » n'existe en Algérie, pays qui a ratifié la convention n° 182 sur les pires formes de travail des enfants en 1999. Le département de Tayeb Louh est arrivé à cette conclusion sur la base d'une enquête qui a été réalisée en 2004 sur le travail des enfants. Il n'y a pas de quoi pavoiser, car un enfant n'est pas censé travailler et il est difficile de distinguer entre les pires et moins pires formes de travail de l'enfant, surtout quant celui-ci est privé de scolarité. Combien sont-ils ? L'Unicef avance le chiffre de 300 000. La centrale syndicale UGTA, de son côté, a donné en 1999 un autre chiffre plus édifiant. Ils seraient 1,3 million malheureux. Effroyable. Mais n'est-ce pas que s'il y a un seul enfant qui travaille, c'est un cas de trop ? L'enquête réalisée conjointement par le ministère du Travail et de la Sécurité sociale et la représentation du Bureau international du travail (BIT) a révélé que sur un échantillon de 2146 enfants, âgés de 6 à 15 ans, dans 12 wilayas, 559, soit 26%, ont affirmé travailler. Parents employeurs Environ 16% d'entre eux le font tout en poursuivant leur cursus scolaire, alors que 10,2% ne vont pas à l'école. Dans l'ensemble, 46% des enfants travailleurs concernés par l'enquête ont ou bien abandonné leur scolarité ou bien n'ont jamais mis les pieds dans une classe. Près de 15% d'entre eux sont totalement analphabètes, tandis que 44% ont un niveau moyen et plus, et 41% un niveau primaire et plus. La gent masculine se taille la part du lion. Elle représente un peu moins de 75%. Les activités des enfants sont évidemment informelles. La proportion des enfants, qui ont une occupation régulière, est de 18%. Ceux qui ont une occupation occasionnelle sont plus nombreux (82%). Si l'on en croit l'enquête en question, la présence de jeunes enfants dans le monde du travail est minime, voire insignifiante. Cette catégorie ne représente que 3%. Les enfants à l'orée de l'adolescence (12-15ans) représentent quant à eux 53,6% de l'ensemble des enfants travailleurs suivis des 9-11 ans (44,5%). L'enquête fait ressortir que dans 57,4% des cas, les employeurs de ces prolétariens en culotte courte sont leurs propres parents. On reste toujours dans la famille puisque les 37% restants sont de proches parents. Les enfants travailleurs se recrutent souvent dans les secteurs de l'artisanat pour les filles et les diverses formes de commerce pour les garçons, toujours selon la même enquête. Ces enfants supportent dans la majorité des cas de longues heures de travail, parfois autant que des fonctionnaires. Ainsi la durée journalière de 50% des gamins est de 4 à 8 heures, surtout pour les garçons qui exercent dans le bâtiment, travaux publics, habitat (BTPH), l'artisanat et le commerce. Mais cette étude ne peut, à elle seule, cerner le phénomène du travail des enfants en Algérie et ses résultats restent discutables. Des spécialistes contestent certaines conclusions qui ne reflètent pas, d'après eux, la réalité du terrain. Ils expriment leurs craintes de voir les pires formes de travail des enfants apparaître en Algérie, résultat de l'échec de la politique gouvernementale pour la lutte contre ce fléau.