Le président Hollande, qui rendra hommage demain à Maurice Audin, accède à la demande de sa famille pour que la vérité sur la disparition du jeune militant communiste algérois pour l'indépendance de son pays soit «connue et reconnue». Paris. De notre correspondante
Plus de cinquante ans après la fin de la guerre d'Algérie, l'Etat français doit faire face à ses responsabilités et au devoir de vérité qui lui incombe envers vous et votre famille d'abord, mais également envers l'ensemble des citoyens», écrit le chef de l'Etat français dans une missive reçue vendredi matin par Josette Audin. «J'ai par ailleurs demandé à Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, de vous recevoir afin de vous remettre en mains propres l'ensemble des archives et documents en sa possession à la disparition de votre mari», conclut François Hollande. Cette lettre de François Hollande fait suite à celle que lui avait adressée, en août dernier, Mme Josette Audin, dans laquelle elle rappelait : «Comme pour beaucoup d'autres Algériens, les militaires français, responsables de son assassinat, ont prétendu qu'il (Maurice Audin, ndlr) s'était évadé au cours d'un transfert. Les autorités civiles, militaires, juridiques françaises s'en sont toujours tenues à cette thèse. Pourtant, des historiens, dont Pierre Vidal-Naquet, ont établi que mon mari était mort sous la torture. Une journaliste, Nathalie Funès, a trouvé récemment, dans les archives d'une université américaine, des éléments nouveaux. Il est temps, plus de cinquante ans après la fin de la guerre d'Algérie, que la vérité soit connue et reconnue. Pour commencer, il faut que les historiens puissent avoir accès à toutes les archives de toutes les personnalités civiles et militaires françaises en charge du ‘maintien de l'ordre' en Algérie et à tous les niveaux.» Nathalie Funès*, journaliste au Nouvel Observateur, met la main sur un document inédit dans lequel un haut gradé de l'armée, le colonel Godard (qui est mort en 1975) réfute la thèse officielle de l'évasion de Maurice Audin et révèle l'identité probable de son meurtrier. Par le document écrit de la main du colonel Godard, il y a une reconnaissance par l'armée de l'exécution de Maurice Audin, indique Nathalie Funès à El Watan (lire l'édition du 19 mars 2012). Ce texte inédit, conservé avec les archives de Yves Godard, à l'université Stanford, en Californie, est le premier document signé d'un officier de l'armée française confirmant que le mathématicien algérois a bien été exécuté par un militaire. Le colonel Godard donne un nom qui n'est pas celui cité dans L'affaire Audin, ouvrage de référence de l'historien Pierre Vidal-Naquet, selon lequel l'hypothèse la plus probable de la mort de Maurice Audin est que le lieutenant Charbonnier l'a tué par strangulation «dans un accès de fureur». L'homme cité par le colonel Godard est aujourd'hui âgé de quatre-vingt ans. Nathalie Funès lui a adressé deux courriers, restés sans réponse ; elle s'est présentée devant son domicile, la porte est restée close. Il vit en Bretagne après avoir fait carrière dans l'armée. Il a travaillé aux côtés du général Massu à Alger avant de rejoindre, comme sous-lieutenant, le groupe du commandant Paul Aussaresses, alors coordonnateur des services de renseignement (dans le Nouvel Observateur daté du 1er mars 2012). La petite équipe s'était installée à la villa des Tourelles où l'on se chargeait des basses besognes et où l'on se débarrassait discrètement des prisonniers encombrants, écrit Nathalie Funès dans le Nouvel Observateur. Le général Aussaresses, contacté lui aussi par la journaliste, a répondu par la négative, mais «dans sa négation il donne des aveux puisqu'il dit ‘ce n'est pas moi qui ai donné l'ordre d'exécuter Audin', ce qui veut dire qu'il y a eu un ordre d'exécution d'Audin et qu'il n'était pas là au moment des faits», a-t-elle précisé à El Watan. Et d'ajouter : «Le colonel Godard écrit dans son document qu'il y a eu un agent d'exécution et il soulève une autre hypothèse, celle d'une confusion avec Henri Alleg», l'ancien directeur d'Alger Républicain qui était interné au même moment au centre de triage d'El Biar. Par ailleurs, Yves Cuomo, le chauffeur qui conduisait la jeep supposée transporter Maurice Audin le 27 juin 1957 vers le centre de triage d'El Biar pour y être interrogé, selon le rapport officiel, a révélé au Nouvel Observateur : «Je ne savais pas qui je transportais à l'arrière du véhicule. L'homme était cagoulé. Je n'ai jamais vu son visage. D'ailleurs, il y a quatre, cinq ans, un des militaires en poste à Alger m'a téléphoné. Il m'a dit que l'opération était un simulacre, que Maurice Audin était à ce moment-là déjà mort.» La famille Audin souhaite que le document du colonel Godard puisse contribuer à relancer devant la justice l'affaire de la disparition de Maurice Audin. Les historiens Mohammed Harbi et Benjamin Stora avaient adressé un courrier au président Sarkozy, alors en exercice, à l'initiative de l'Association Maurice Audin qui a succédé au Comité Audin, pour réclamer «la levée du secret-défense sur tous les documents relatifs à l'affaire» afin de «rétablir la vérité historique sur un événement marquant de la Guerre d'Algérie».Nadjia Bouzeghrane *Nathalie Funès, auteure de Le camp de Lodi. Algérie 1954-1962 (éditions Stock, mars 2012). Elle est aussi l'auteure de Mon oncle d'Algérie (éditions Stock, 2010).