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Avec Maurice Audin, François Hollande a une équation à régler !
Publié dans La Tribune le 17 - 12 - 2012

Avant de faire disparaitre Mehdi Ben Barka, son ancien prof de maths au Collège Royal, le roi Hassan II aurait dit au général Mohamed Oufkir «j'ai une équation à résoudre». Le président français François Hollande, lui, a une équation d'une nature différente à régler. Une équation à une seule inconnue : dire, au-delà de l'hommage qu'il doit rendre à Maurice Audin, à Alger, la vérité sur l'assassinat par les parachutistes français de ce professeur algérien de mathématiques. Ce serait un geste parfaitement inédit. D'un certain courage intellectuel, il faut le souligner, mais non sans risque politique pour un chef d'Etat dont la côte d'amour auprès des siens est actuellement au plus bas. Car, cinquante-cinq ans après la «disparition» de Maurice Audin, trois semaines après son arrestation le 11 juin 1957 par les paras de Massu et Bigeard, la France officielle continue de s'emmurer dans le mutisme. Normalement, François Hollande, qui s'est voulu «président normal», devrait aller dans le sens du triomphe de la vérité. Admettre les choses telles qu'elles se sont déroulées à la villa des Tourelles à El Biar où, on le sait désormais, l'assassin de l'ex-membre du PCA, de la cellule Paul Langevin des étudiants communistes de la faculté d'Alger, a un nom, un prénom et un grade dans l'armée française. On ne l'ignore plus grâce à un manuscrit du colonel putschiste Godard, ancien commandant de la zone Alger-Sahel, exhumé par Nathalie Funès, journaliste du Nouvel Observateur, dans les archives d'une université américaine (1er mars 2011). Mais aussi, à la faveur des déclarations du sinistre général Aussaresses à une autre estimée consœur française, Florence Baugé. Ce criminel de guerre faisait partie de «l'état-major de la main gauche» en charge des basses besognes, en fait un escadron de la mort qui ne pouvait pas dire son nom. On sait donc que le tueur de Maurice Audin, après d'atroces tortures, s'appelle Gérard Garcet, aide de camp du général Massu, ancien résistant dans le Vercors, désigné nommément par le colonel Godard comme le lieutenant qui a exécuté Maurice Audin. Et pourtant l'ensemble des hauts gradés de l'armée française, les généraux Massu et Bigeard en tête, ont tous juré sous serment devant le juge à Rennes, que le nationaliste algérien s'était enfui. Et qu'il aurait disparu depuis. On a dit d'ailleurs la même chose à propos des «disparitions» de Larbi Ben Mhidi et de Cheikh Larbi Tebessi, grande figure des ulémas, Djadri de son vrai nom. Normalement, François Hollande devrait admettre la vérité historique. Dans sa réponse, à Josette Audin, veuve de notre chahid, qui lui a adressé une récente lettre exigeant que «la vérité soit connue et reconnue», le chef de l'Etat français promet de lui remettre «l'ensemble des documents en sa possession relatifs à la disparition» de son mari. Dans cette missive, reçue le 14 décembre par la veuve du grand martyr, il écrit, noir sur blanc : «Plus de cinquante après la fin de la Guerre d'Algérie, l'Etat français doit faire face à ses responsabilités et au devoir de vérité qui lui incombe envers vous et votre famille d'abord mais également envers l'ensemble des citoyens.» De toute façon, François Hollande ne peut pas se défaire de sa promesse, se dédire si vite, au risque de se déconsidérer lui-même, dans le sens où le Normand qu'il est aurait fait finalement une promesse de Gascon. Déjà, durant la campagne électorale des présidentielles de 2012, il avait fait une promesse lourde de sens à Georges Tronel, de l'Association Maurice Audin. Dans son adresse au SG de l'association, il salue d'abord ceux qui
«continuent d'agir pour que la vérité soit enfin reconnue par l'Etat.» Il y évoquait même l'enquête du Nouvel Obs «révélant pour la première fois l'identité probable de l'assassin de Maurice Audin.» Et, élément tout à fait remarquable, il a même précisé qu'il croyait
«utile que la France présente des excuses au peuple algérien.» Rien moins que ça ! En fait, on ne connait pas, à la veille de sa visite à Alger, placée sous le sceau de la mémoire et sous le signe du pragmatisme économique, la nature exacte des documents que le ministre Yves Le Drian lui remettrait. Le Normand Hollande ne précise pas non plus si ce geste politique implique une levée du secret-défense sur tous les documents, absolument toutes les pièces, relatifs à l'affaire Audin dont la flamme est entretenue par sa veuve, des amis et d'autres grands dignitaires françaises depuis la mort brutale du mathématicien. Dans ce dossier, rien ne dit, en effet, que des traces écrites témoignant d'un ordre d'exécution de Maurice Audin soient disponibles. En revanche, des témoins existent bel et bien, qui sont encore vivants et que la justice française devrait faire parler. Parmi eux, l'assassin Gérard Garcet qui, à plus de quatre-vingts ans, coule une retraite paisible en Bretagne. Il y a aussi, surtout, dirions-nous, le général Paul Aussaresses, 94 ans, qui vit désormais en partie en Alsace, dans la vallée de Sainte-Marie-aux-Mines. Pour sa part, François Hollande, qui ira se recueillir devant la plaque commémorative de Maurice Audin, au cœur d'Alger, doit savoir, à la suite de Jean Jaurès, qu'«il ne peut y avoir de révolution que là où il y a conscience.» Et comme il connait son Jaurès par cœur, il doit se souvenir, de temps à autre dans la politique, que «l'Histoire enseigne aux hommes la difficulté des grandes tâches et la lenteur des accomplissements», mais qu'elle «justifie l'invincible espoir.» A moins qu'il soit finalement adepte de cette autre idée jaurésienne qui veut que «quand les hommes ne peuvent changer les choses, ils changent les mots.»
N. K.


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