C 'est un Premier ministre extrêmement ému, plus ou moins convaincant, s'exprimant tantôt d'un ton grave, tantôt d'un air rassurant, que la presse a rencontré hier à Djenane El Mithak, à Alger, en présence de trois ministres : Youcef Yousfi de l'Energie, Daho Ould Kablia de l'Intérieur et Mohamed Saïd de la Communication. M. Sellal est revenu avec quelques détails sur l'attaque terroriste contre le site gazier de Tigantourine, à In Amenas, menée mercredi dernier par un commando de 32 mercenaires islamistes. Avant de répondre aux questions, le Premier ministre rend compte des faits qui se sont déroulés à partir de la nuit du mardi au mercredi jusqu'au samedi, marquant la fin de l'opération militaire. D'un ton grave, il affirme que les forces de sécurité ont abattu 32 terroristes, parmi lesquels trois seulement sont des Algériens et 11 sont des Tunisiens. Sur un nombre de 790 travailleurs, dont 134 expatriés de 26 nationalités, la majorité a été libérée. Néanmoins, regrette-t-il, 37 otages sont morts, parmi eux un Algérien et le reste des expatriés de huit nationalités différentes, dont sept ne sont pas encore identifiés, ajoutant que cinq étrangers sont toujours portés disparus. «Le groupe de terroristes est constitué de huit nationalité différentes : tunisienne, nigérienne, malienne, mauritanienne, égyptienne, et un Canadien», a déclaré M. Sellal, précisant que «la préparation de l'attaque terroriste a été faite à Aguelhoc, au nord du Mali, par Mokhtar Belmokhtar et a nécessité deux mois. Dirigé par l'Algérien Mohamed Lamine Bencheneb, le groupe a traversé toute la bande frontalière entre l'Algérie, le Mali, le Niger avant d'arriver en Libye, d'où le commando s'est dirigé vers In Amenas». M. Sellal a expliqué que le commando voulait prendre le bus transportant les expatriés, dont le patron de British Petroleum, en direction de l'aéroport. «Ils voulaient emmener le bus au nord du Mali pour renforcer le nombre des otages se trouvant là-bas et en faire une monnaie d'échange. Mais la riposte des gendarmes qui escortaient le véhicule a mis en échec leur plan. Ils se sont par la suite dirigés vers la base-vie qui était à 5 km des lieux, où ils se sont scindés en deux groupes. L'un a investi la base et l'autre l'usine de gaz. Ils sont venus avec un armement lourd et sophistiqué : des kalachnikovs, des FMPK, des lance-roquettes, des explosifs et avec eux trois spécialistes du piégeage qui étaient parmi les 11 terroristes qui avaient occupé l'installation gazière.» Le Premier ministre rend hommage au gardien de la base qui, dit-il, a évité le pire, en ayant le réflexe de déclencher le système d'alarme. Ce qui a poussé les travailleurs algériens et étrangers à arrêter la production de gaz et procéder à une décompression. Sans cette alerte, ils auraient provoqué l'explosion du site et les conséquences auraient été désastreuses sur un rayon de 5 km. «Les assaillants avaient un plan détaillé de la base et de l'usine» Abdelmalek Sellal affichait un ton grave en indiquant que les assaillants avaient «un plan détaillé de la base et de l'usine. Ils avaient piégé le site avec des mines antichars, du TNT et des ceintures d'explosifs qu'ils avaient sur eux». Des détails qui démontrent, selon lui, les conditions «extrêmement difficiles et complexes face auxquelles étaient les forces de l'ANP. Vu la puissance des armes qu'ils détenaient et le nombre d'otages qu'ils avaient, les militaires ont d'abord utilisé la voie de la négociation mais les terroristes avaient adopté une position jusqu'au-boutiste. Ils étaient déterminés, parlant de libération de prisonniers et de conditions inimaginables et inacceptables. Ce qui a poussé les unités de l'ANP à intervenir». Le Premier ministre s'attarde un peu sur ces unités en faisant leur éloge : «Elles sont formées pour ce genre d'opérations et ce qu'elles ont fait, rares sont les pays dont les troupes spéciales sont capables d'un tel exploit.» M. Sellal revient aux faits et déclare : «La première journée, il y a eu une opération qui a permis la libération de nombreux otages, notamment algériens. Mais durant la nuit, la situation est devenue extrêmement difficile. Les terroristes avaient préparé trois véhicules à bord desquels ils avaient mis des vivres, du carburant mais aussi des otages. Ils voulaient faire sortir ces derniers et les emmener au Mali. Grâce au dispositif mis en place par l'ANP, la surveillance aérienne par les hélicoptères, la riposte des forces spéciales leur a fait rebrousser chemin. Ils ont tenté de rejoindre leurs acolytes en position à l'usine, mais leurs véhicules se sont renversés. Certains otages ont fui et Bencheneb a été tué. La seconde opération des unités spéciales a eu lieu à l'usine, où 11 terroristes étaient embusqués et avec eux de nombreux otages. Il faut que vous sachiez que la base-vie s'étend sur une superficie de 4 hectares, alors que l'usine est construite sur 10 hectares. C'est pour vous dire la complexité et les difficultés rencontrées par les militaires non seulement pour intervenir, mais aussi pour maîtriser le terrain. Leur priorité était de libérer les otages mais aussi d'éviter que les terroristes ne fassent exploser l'usine. Ils ont d'ailleurs tenté de le faire en faisant éclater un engin, provoquant un incendie vite maîtrisé par la Protection civile et les travailleurs dans la nuit de vendredi à samedi.» « L'intervention a été intelligente et efficace » Le Premier ministre souligne que les unités spéciales de l'ANP n'avaient d'autre choix que de mener l'assaut : «Elles ont agi d'une manière efficace et très intelligente. Des tireurs d'élite ont été utilisés pour éviter que les terroristes ne fassent exploser l'installation. Malheureusement, ordre leur a été donné d'exécuter (même) les otages, dont beaucoup ont été tués d'une balle dans la tête. L'Armée a riposté avec les moyens qu'il faut et de la manière qu'il fallait. Le terrorisme ne passera jamais en Algérie.» M. Sellal affirme en outre que cette intervention a été étudiée et préparée par un commandement de l'armée, qui était le seul habilité à décider de l'assaut. «Tous les Etats concernés étaient informés par mes soins. J'appelais les chefs de gouvernement et les responsables à chaque fois qu'il y avait du nouveau et ils savaient que l'assaut devait être donné. C'était une question de temps, que seul le commandement de l'état-major installés sur place étaient capables de connaître, pas même moi en tant que Premier ministre, parce qu'il dépendait de l'évolution sur le terrain». Pour M. Sellal, cette opération reflète la position de l'Algérie face au terrorisme qui menace la stabilité du pays : «Nous sommes fiers de nos forces spéciales de l'ANP et le monde entier a compris que cette riposte est la seule réponse qu'il fallait apporter. Lorsque la sécurité du pays est mise en jeu, il n'y d'autre possibilité que la fermeté.» Interrogé à propos du manque de communication, M. Sellal a répondu que «la priorité était de sauver les vies humaines et d'éviter une explosion de l'usine de gaz». Il a révélé, à propos du système de sécurité des sites pétroliers et gaziers, que «les partenaires de l'Algérie ont fait appel à des sociétés avec lesquelles ils ont signé un cahier des charges. Ils ont évalué eux-mêmes la mise en place du système de sécurité qui est à trois niveaux ; éloigné (pris en charge par les unités de l'Armée), rapproché (assuré par les escadrons de la gendarmerie qui a su riposter à l'attaque du bus), mais aussi interne à travers les caméras, la double clôture et les système d'alarme qui ont évité le pire à In Amenas lorsqu'ils ont été déclenchés». Le Premier ministre écarte toute baisse de vigilance qui pourrait être à l'origine de cette attaque en disant : «Notre armée avait repéré deux véhicules suspects qui avançaient sur le territoire algérien en provenance du Niger, qu'elle a détruits après s'être assurée qu'ils transportaient des armes. L'armée est en état d'alerte depuis deux mois au niveau des frontières sud. Il faudra attendre la fin de l'enquête pour avoir les détails de la traversée du commando depuis le Mali jusqu'à In Amenas. Mais sachez que nous avons les moyens de détecter les cibles suspectes.» Abdelmalek Sellal, très ému, se dit très fier de constater que tous les Algériens étaient conscients de la gravité de cette attaque et de son enjeu sur la stabilité et l'intégrité du pays. «Il faut que tout le monde sache qu'il y a une volonté politique de ne jamais sombrer dans le terrorisme.» Pour lui, l'Algérie n'a cédé à aucune pression et il va plus loin en lançant : «N'est pas encore né celui qui viendra dicter à l'Algérie ce qu'elle doit faire. Nous sommes prêts à tout perdre, sauf notre dignité.»