-Le rapprochement entre la sphère universitaire et son environnement économique alimente le débat depuis quelques années déjà. Qu'en est-il réellement notamment dans le domaine de l'agriculture et l'agroalimentaire ? Oui, le rapprochement entre l'université et le monde socio-économique est un débat toujours d'actualité, notamment en Algérie. Le système de formation et de recherche scientifique est appelé a répondre aux besoins du développement économique du pays et aux exigences du progrès de la société, exacerbés par l'ouverture des marchés et la globalisation. Dans ce contexte, le développement de l'agriculture et l'agroalimentaire exige encore plus de rapprochement avec la sphère universitaire. Cette situation est plus pressante en Algérie du fait de la dépendance alimentaire qui risque de menacer à terme la souveraineté du pays. C'est d'ailleurs dans cette démarche que s'inscrit l'ENSA. Pour répondre aux besoins de l'environnement socioéconomique, en matière de formation d'ingénieurs de qualité et de compétences opérationnelles, capables de résoudre les problèmes concrets qui se posent à la société dans le domaine de l'agriculture et de l'agroalimentaire, l'ENSA lance une grande réflexion autour des grandes lignes de réforme de la formation, qui vise la refonte des programmes et la redéfinition des profils d'ingénieur agronome de demain, et ce, en relation avec l'employabilité de nos diplômés. Il faut savoir que la définition du profil d'ingénieur, actuel et futur, exigera une réflexion interactive avec le monde du travail. C'est dans ce sens que des échanges et des liens sont en cours de construction avec les partenaires institutionnels et économiques de l'ENSA. Actuellement, l'ENSA construit des liens de partenariat nationaux très prometteurs avec les leaders de l'agroalimentaire en Algérie, dont Cevital, Giplait, ONAB, Lactalis, et les institutions de développement et d'encadrement de l'agriculture comme l'INRAA, les instituts techniques et les chambres d'agriculture. -Quelles sont les principales contraintes auxquelles est confrontée la recherche scientifique en Algérie ? La recherche scientifique est confrontée en Algérie à plusieurs contraintes. En premier lieu, la dimension quantitative et qualitative des acteurs de la recherche. Il faut noter que malgré les efforts tangibles des pouvoirs publics pour booster la recherche scientifique, le nombre de chercheurs actifs est encore insuffisant par rapport à la population totale en Algérie. La qualité et le niveau des chercheurs par rapport aux enjeux et défis mondiaux de la science sont encore à relever. On parlait au début de l'interview de l'exemple de la maîtrise des nanotechnologies et ses applications dans différents domaines en Algérie. L'autre contrainte est liée au financement. Il faut noter que le ministère de tutelle a mobilisé ces dernières années des fonds très importants pour développer la recherche scientifique. Néanmoins, certaines procédures pour utiliser ces ressources sont encore lourdes et épuisantes, et peuvent démobiliser à terme les chercheurs. Des mesures d'accompagnement de cette volonté politique sont attendues pour assouplir davantage la gestion des laboratoires et l'administration des ressources financières pour développer et optimiser le potentiel de recherche scientifique dans le pays. Par ailleurs, l'équipement des laboratoires et des unités de recherche constitue un frein réel à la production d'une recherche certifiée et reconnue à l'échelle internationale. Dans cet esprit, l'ENSA ambitionne la mise en place d'une plate-forme d'expérimentation et de recherche de très haut niveau. La construction d'un hall technologique, ou un laboratoire pilote, est également envisagée pour mener des travaux de recherche et d'expérimentation de qualité à la mesure des défis et des besoins de l'agriculture et de génie agroalimentaire dans le pays. -Le monde entrepreneurial, notamment privé, est-il prédisposé à accompagner l'adaptation des programmes et des formations aux besoins du marché du travail ? Il faut dire que les entreprises, notamment celles du secteur privé, n'ont pas été souvent sollicitées pour accompagner l'adaptation des programmes et des formations au sein des établissements. Cependant, des tentatives de rapprochement ont été menées dans le temps. Actuellement, le ministère de l'Enseignement supérieur et le couple Université /Entreprise sont conscients des enjeux et des défis à relever ensemble dans un monde fondé de plus en plus sur l'économie des connaissances et des savoirs, où la concurrence est féroce. Je pense que les entreprises nationales, publiques et privées, qui s'inscrivent dans une logique de compétitivité sur le marché national ou qui se battent à l'international, sont disposées à accompagner l'adaptation des programmes et des formations et même à investir dans la recherche, pourvu que leurs besoins et préoccupations soient prises en considération prioritairement par les systèmes de formation et de recherche. L'exemple de la visite des enseignants et étudiants de l'ENSA, en compagnie de la délégation de l'Université Laval, au site de Cevital à Béjaïa, illustre parfaitement la volonté de ce rapprochement. Reste à prendre en charge réellement les problèmes concrets qui se posent sur le terrain à l'entreprise et essayer de les traduire en problématiques de projet de recherche-action. -Le recours au financement de la recherche scientifique par la sphère économique (le monde de l'entreprise), comme c'est le cas dans plusieurs pays développés, serait-il une solution efficace ? Effectivement, dans les pays avancés la participation au financement de la recherche scientifique par les entreprises est très importante. La présentation à l'ENSA du modèle de recherche de l'université de Laval montre clairement la part importante du financement des partenaires privés à hauteur de 45% du budget de la recherche. Dans ces pays, le chercheur est obligé de trouver lui-même le financement de ses travaux auprès des entreprises. Donc, il est contraint de travailler sur des projets qui intéressent ces entreprises. Même si la recherche fondamentale reste du domaine public. En Algérie, je pense que les entreprises qui sont capables de financer les travaux de recherche ne sont pas nombreuses, notamment dans le secteur privé du secteur agricole et agroalimentaire. Ce sont les grandes entreprises et les firmes multinationales confrontées à la compétitivité et l'adversité qui financent la recherche. Car cette compétitivité et cette adversité sont le moteur de l'innovation et de la création, notamment dans le secteur high-tech, où l'obsolescence technologique est très rapide et la durée de vie des produits est éphémère. Le financement de la recherche par le budget public reste inévitable en Algérie, notamment pour les équipements lourds. Cependant, l'utilisation des ces équipements doit être optimisée par son partage et sa mutualisation entre les usagers des différentes institutions de recherche. Aussi, l'exonération fiscale des activités de formation et de recherche menées par les entreprises pourrait inciter ces dernières à s'impliquer davantage dans ces activités de recherche.