Cités dans les plus importants scandales de la décennie écoulée, Mohamed Bedjaoui, ex-ministre des Affaires étrangères, et Chakib Khelil, son ancien collègue de l'Energie, semblent toujours loin de toute procédure de mise en examen. Mieux, les deux personnalités se la coulent douce à l'étranger, laissant croire qu'elles bénéficient d'une immunité qui les place au-dessus de la loi. Les anciens ministres des Affaires étrangères, Mohamed Bedjaoui, et de l'Energie, Chakib Khelil, sont deux personnalités étroitement liées, dont les noms n'ont jamais été aussi cités dans les scandales que durant ces dernières années. Les deux hommes se connaissent assez bien et fréquentent deux énigmatiques personnalités, citées dans le scandale de l'autoroute Est-Ouest, à savoir Pierre Falcon et Tayeb Kouidri. Né en Algérie, en 1954, détenteur de trois nationalités (française, angolaise et brésilienne), Pierre Falcon est connu pour avoir géré une des plus grandes entreprises d'exportation d'armes en Afrique et en Amérique latine, avec l'appui des services de renseignements et de la droite français. Ses relations assez particulières avec le régime algérien lui ont permis d'avoir le monopole sur les marchés en Algérie. Il est devenu un passage obligé pour une bonne partie des sociétés qui veulent venir à Alger. Les entreprises chinoises n'ont pas dérogé à la règle. Ses contacts ou services auprès des dirigeants algériens n'étaient pas gratuits. Selon l'enquête préliminaire, les amis les plus proches de Falcon étaient l'ancien ministre des Affaires étrangères, Mohamed Bedjaoui, qu'il a côtoyé lorsqu'il était en poste à l'Unesco, à Paris, mais également Chakib Khelil. En s'adressant à lui, les Chinois venaient de frapper à la bonne porte. Falcon a réussi à se faire inviter à un conseil interministériel consacré au projet de l'autoroute Est-Ouest, avant que cette invitation ne soit annulée à la dernière minute, de crainte de la colère du Président. Certes, la réunion n'a pu se tenir, mais cela n'a pas empêché Chakib Khelil de lui donner la majorité des marchés de réalisation des bases-vie au sud du pays et de l'installation des pipes, non pas en tant qu'entreprise, mais au titre d'intermédiaire. Sur chaque marché qu'il va sous-traiter avec des sociétés étrangères, Falcon prend sa commission. Négociant pétrolier, toutes les portes lui étaient ouvertes au ministère de l'Energie, à Sonatrach et au ministère des Travaux publics. Pourtant, à aucun moment de la procédure judiciaire il n'a été question de le convoquer ou d'établir une commission rogatoire pour l'entendre, ne serait-ce qu'en tant que témoin. L'énigme Falcon reste entière. Tout comme l'énigme Tayeb Kouidri, un expert judiciaire, natif de Meknès, propriétaire de biens en France et en Suisse où il est établi, dont la convocation par le juge (chargé de l'affaire de l'autoroute) est restée sans suite. Il avait quitté le territoire national juste après l'arrestation, en septembre 2009, de son ami Mejdoub Chani, un homme d'affaires (au centre du scandale de l'autoroute). Depuis, il n'est plus revenu en Algérie. Kouidri avait été confondu par l'ancien directeur des grands projets de l'Agence nationale des autoroutes, Mohamed Khelladi (en détention), mais aussi par Addou Sid Ahmed, homme d'affaires (en détention provisoire), qui le désigne comme «un élément important dans le lobby de Pierre Falcon». En fait, Kouidri Tayeb, parent par alliance d'un haut cadre du ministère de la Défense nationale, avait de solides «entrées» au ministère des Travaux publics et auprès de Chakib Khelil. Si pour la forme, le juge chargé de l'affaire de l'autoroute a entendu Amar Ghoul (par écrit en lui transmettant les questions) sur les révélations qui l'impliquent directement (toutes niées), le magistrat chargé du dossier Sonatrach a, quand à lui, fait l'impasse sur l'audition de Chakib Khelil et de Mohamed Bedjaoui. Une audition tant réclamée par la défense qui estime que les ex-cadres dirigeants de Sonatrach, y compris le PDG, ne signent aucun acte de gestion sans l'accord du ministre. Le juge a rejeté la demande. Il a correctionnalisé le dossier, avant que la chambre d'accusation près la cour d'Alger ne criminalise les faits. Des faits qui impliquent entre autres la société italienne Saipem, poursuivie pour «corruption, augmentation injustifiée des prix en vue de bénéficier d'indus avantages et blanchiment» (voir encadré). Force est de constater qu'au moment où la justice italienne enquête sur la destination des 198 millions de dollars, versés par les patrons du géant pétrolier ENI et sa filiale Saipem à des personnalités algériennes, les juges de notre pays se contentent de poursuivre le fils de l'ancien PDG de Sonatrach, pour avoir signé un contrat de travail (voir encadré) au sein de Saipem. Et alors que cette société s'est pourvue en cassation à Alger, réfutant les accusations portées à son encontre, à Milan, les investigations font état du recyclage d'une partie des pots-de-vin qu'elle a versés (10 millions de dollars) dans la création de sociétés-écran par des personnalités algériennes, dont Farid Noureddine Bedjaoui, 43 ans, Franco-Algérien, neveu de Mohamed Bedjaoui, présenté comme étant le conseiller de Chakib Khelil. Il «aurait placé 1,5 million d'euros dans une entreprise agricole appartenant à l'un des dirigeants de Saipem». Mieux encore, alors qu'en Algérie la justice pointe du doigt Saipem, à Milan, c'est le patron de l'ENI qui est mis en examen pour ses relations avec Chakib Khelil et Farid Bedjaoui. Autant de révélations qui démontrent que le dossier de l'affaire Sonatrach ne peut être réduit à quelques appartements achetés par les Meziane à Paris ou à quelques milliers d'euros versés aux enfants de ce dernier. Les soupçons qui pèsent aussi bien sur Chakib Khelil que sur son homme de confiance, Réda Hemche, ou encore sur Mohamed Bedjaoui doivent être clairement élucidés parce que personne, y compris les ministres, ne peut être au-dessus de la loi…