Le parti Ennahda a tellement fait le vide autour de lui que le chef du gouvernement nommé, Ali Laârayedh, a peiné avant de trouver la majorité nécessaire à son gouvernement pour obtenir la confiance de l'Assemblée nationale constituante (ANC). L'islamiste Ali Laârayedh a dû attendre les ultimes heures de la quinzaine de jours que lui accorde la loi pour parvenir à un accord in extremis sur la formation de son gouvernement avec ses anciens alliés au sein de la troïka gouvernante : Ettakattol du président de l'ANC, Mustapha Ben Jaâfar, et le Congrès pour la République (CPR), le parti fondé par le président Moncef Marzouki. C'est surtout Ettakattol qui a été intransigeant jusqu'au dernier moment concernant les profils des personnalités qui vont occuper les ministères de souveraineté. «Nous voulons des compétences vraiment indépendantes», a martelé le dirigeant d'Ettakattol et ministre des Affaires sociales, Khelil Ezzaouia, lors de la dernière réunion de concertation qui s'est déroulée avant-hier et qui a vu le parti Ennahda revenir sur ses premières propositions. Mohamed Affès était pressenti pour le ministère de la Justice. Il s'agit de l'actuel procureur d'Etat général, directeur général des services judiciaires. «On ne lui reproche rien pour sa personne sauf qu'il est très docile. Il faudrait exiger de changer tout le cabinet actuel si jamais il est choisi, tant il manque de poigne», lui reproche-t-on. Les tractations de dernière minute ont abouti à un consensus autour de l'universitaire Nadhir Ben Ammou comme ministre de la Justice, suite au refus de l'avocat Kamel Ben Messaoud, ayant obtenu l'aval de tout le monde, sauf le sien. Le titulaire du ministère de la Défense a fait aussi l'objet d'un grand débat. Les islamistes ont d'abord proposé Abdelhak Lassoued, un vieux militant, dont la maison parentale a régulièrement servi aux réunions clandestines d'Ennahda, sans parler de son gendre appartenant au Hamas. Il a fallu un sursaut de la société civile et le refus d'Ettakattol pour que les islamistes acceptent Rachid Sabbagh, ex-premier président de la Cour de cassation et président du Conseil supérieur islamique, à la tête du ministère de la Défense. Il s'agit d'un cadre de l'Etat à un âge avancé (plus de 80 ans). Le même manège a été observé avec le ministère de l'Intérieur. Les islamistes ont proposé Habib Jemli, l'actuel secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Agriculture. Il faisait déjà partie du gouvernement de Hamadi Jebali. Après de longues tractations, il y a eu un consensus autour du juge Lotfi Ben Jeddou, le procureur d'Etat adjoint à Kasserine, qui a pris en charge les dossiers des chaudes journées de la révolution à Thala et Kasserine. Ce dernier a été donc nommé à la tête du ministère de l'Intérieur. Telles sont donc les principales nouvelles nominations en plus du départ du gendre de Rached Ghannouchi, Rafik Abdessalem, des Affaires étrangères et son remplacement par l'ambassadeur de Tunisie à Amman, Othmane Jarendi. Mais quel est le programme de ce gouvernement ? Mission difficile Selon l'universitaire Ghazi Gheraïri, qui s'exprimait sur Radio Mosaïque, «le gouvernement mis en place par Ali Laârayedh aura plusieurs défis à relever et de problèmes à régler. Il aura à résoudre la question : “Qui a tué Chokri Belaïd ?”», en liaison avec toute la délicate problématique sécuritaire. Il aura également à faire face aux problèmes du secteur économique dont l'état ne cesse de se détériorer, sans oublier l'échéancier politique et électoral. Ghazi Gheraïri pense aussi que «le gouvernement doit prouver sa compétence dès les premiers jours et les ministres indépendants doivent démontrer leur neutralité et leur sérieux pour gagner la confiance des Tunisiens». Concernant la date des élections, le représentant d'Ennahda à la dernière réunion de négociations et ministre de l'Agriculture, Mohamed Ben Salem, a indiqué que «les Tunisiens auront désormais à partir de ce soir un nouveau gouvernement». Pour ce qui est de la date des échéances électorales, Ben Salem a précisé que «le programme du gouvernement Laârayedh ne comporte pas une telle date. Toutefois, la réunion du lundi 11 mars de l'Assemblée nationale constituante va s'entendre sur cette date avant même d'accorder la confiance au nouveau gouvernement». La Constitution du gouvernement Laârayedh n'est donc qu'un petit sursaut pour éviter un éventuel fiasco si la troïka n'y était pas parvenue. Les difficultés rencontrées traduisent ce qu'attend la Tunisie pour élaborer sa Constitution au sein de l'Assemblée.