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Quand la Corse tente de redécouvrir l'Algérie...
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Une journée d'étude consacrée à «1962 : entre Corse, France et Algérie» a été organisée jeudi dernier à l'Université di Corsica, à Corte, à l'initiative du département d'Histoire, associant des universitaires algériens et des chercheurs provenant de diverses universités françaises.
Des questions importantes portant sur les questions d'histoire coloniale et de l'anticolonialisme (l'immigration algérienne, identités et appartenances, politiques du sport, enseignement et questions linguistiques) ont été abordées par Didier Rey et Ange Toussaint Pietrera de l'Université Di Corsica, Yvan Gastaut, Daniele Maoudj, écrivaine et poétesse. Le film culte, La Bataille d'Alger fut présenté par Alessandra d'Antonio et débattu. Corse-Algérie-France: colonialisme et anti-colonialisme
Parmi les communications, celles ayant trait aux rapports entre la Corse et l'Algérie permirent de redécouvrir une histoire très largement oubliée ou, du moins, largement oblitérée par le rapport colonial. Or, l'Algérie a eu pour la Corse une importance capitale à trois moments au moins de son histoire. La première se situe au moment de la conquête de 1830. Elle-même conquise par la France en 1768-69, l'île de Corse après avoir longtemps résisté demeurait un territoire marginal dont la population trouva dans la prise de possession de l'Algérie un exutoire à sa propre misère ; le temps était venu de voir les descendants de Pascal Paoli, l'Abd El Kader corse vaincu, (soumettre) les populations à la domination française.
L'Algérie devint alors une «petite Corse», pour reprendre les termes de Claude Liauzu, où plus de 100 000 insulaires étaient installés vers 1950 (50 000 dans le même moment en France), tout en conservant des liens très forts avec leur île. Il en résulta une adhésion très forte des Corses aux mythes de la soi-disant «œuvre coloniale», offrant d'eux-mêmes aux Algériens une image fortement négative, à l'instar de celle décrite par Kateb Yacine dans Nedjma : Me voilà dans les murs (du pénitencier) de Lambèse, mais les Romains sont remplacés par les Corses ; tous Corses, tous gardiens de prison (Kateb Yacine, Nedjma).(1)
Le maire Corse indépendantiste d'Oran
A l'opposé, certains, beaucoup moins nombreux, prirent le parti des colonisés, tel Nicolas Zannettacci, maire PCA d'Oran en 1947, qui fut rédacteur en chef d'Alger Républicain avant et après 1962 ; il fut expulsé d'Algérie par le régime du colonel Boumediene en 1968. Pour autant, les Corses continuèrent de représenter une population particulière dans l'Algérie du temps, perçus de manière distincte tant par les autres Français que par les Algériens ; ce qui fit écrire à Albert Memmi qu'ils étaient finalement des mystifiés de la colonisation, situés dans une sorte d'entre-deux, ni colonisateurs ni colonisés.
La deuxième concerne la guerre d'Algérie. L'attitude des soldats du contingent corse, remarquablement analysée par Nicolas Fabre (A memoria di i cumbattenti corsi di a Guerra d'Algeria), refléta les ambivalences de cette relation particulière de la Corse avec l'empire colonial. Fidélité aux idéaux impériaux et patriotisme furent les pierres angulaires du comportement général des appelés et rappelés — d'ailleurs le 24 mai 1958, la Corse fut le seul département à rejoindre les putschistes d'Alger —, tout en étant néanmoins sensible à la situation coloniale sans remettre en cause leur participation au conflit malgré des relations majoritairement difficiles avec les Français d'Algérie.
La majorité des anciens combattants interrogés par Nicolas Fabre en témoignaient : outre une parenté paysagère immédiatement ressentie au point de préciser unanimement que «L'Algérie c'est la Corse», s'y ajoutaient des modes de comportement qui faisaient dire à une majorité de témoins «que finalement, la culture algérienne, surtout kabyle, évoque par certains aspects la culture corse». Nonobstant la découverte de la misère coloniale qui ne laissait pas insensibles les jeunes appelés, une majorité d'entre eux avouant sans complexe : «En voyant l'état de ce pays, j'ai compris sa motivation (…) les Arabes avaient raison de se révolter.» Les jeunes corses établissaient alors des parallèles avec la situation de leur île : «Les tribus sont les clans, le sens de l'honneur est exacerbé».
Post-indépendance : une nouvelle génération
La troisième, enfin, concerne l'après-1962 où l'importance de l'Algérie se fit sentir d'une autre manière. La mise en place d'une politique de développement de la Corse par l'Etat fut très bien accueillie, mais devait très rapidement être détournée de ses objectifs initiaux du fait de l'indépendance de l'Algérie qui amena plus de 17 000 rapatriés à s'installer en Corse, qui ne comptait alors
180 000 habitants. La politique agricole notamment bénéficia de façon éhontée à quelques rapatriés. Alors que la plupart des pieds-noirs arrivèrent en Corse sans rien et n'eurent pas grand-chose par la suite, quelques gros propriétaires se comportaient déjà dans la Plaine orientale comme ils l'avaient fait dans la Mitidja.
Or, les mutations que connaissait la Corse à l'époque amenèrent une renaissance du nationalisme corse qui puisa une partie de ses référents dans la lutte de Libération nationale algérienne que se soit en termes d'analyse de la spoliation foncière, de dépendance culturelle ou de rapport à l'Etat et d'utilisation de la violence. Bientôt fleurirent les slogans «Corsica culunia !» (Corse colonie). Habitués à lire le monde à travers le prisme du rapport colonial, les Corses se sentaient à leur tour infériorisés sur leur propre terre. Le 22 août 1975, un affrontement meurtrier opposa des militants autonomistes aux forces de l'ordre ; le 5 mai 1976 naissait le FLNC.
Aujourd'hui, cette histoire parallèle à défaut d'être toujours partagée est revisitée par la littérature insulaire de langue corse comme de langue française. On pensera ici notamment à Marcu Biancarelli, né à Blida en 1968, et à son très émouvant El mu'alim, ou à Jérôme Ferrari, qui a enseigné à Alger au début des années 2000, Prix Goncourt 2012, et son très beau Là où j'ai laissé mon âme qui a pour toile de fond la Bataille d'Alger. On ne peut que souhaiter qu'à l'avenir de nouvelles passerelles soient jetées de part et d'autre de la Méditerranée afin de tisser de nouveaux liens, sans oublier le passé et faire en sorte que cette mer qui nous est commune ne soit pas un nouveau Rideau de fer mais, au contraire, un trait d'union entre nos deux îles si l'on peut dire, Corsica et Al-Djaza'ir.D. R. et A. K.
1) Albert Memmi, Portraits du colonisé, Paris, Gallimard, Folio actuel, 2002 (1957), p38.


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