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La vie tient à un livre
Jack London, du vagabon à l'écrivain mondialement consacré
Publié dans El Watan le 20 - 04 - 2006

Lorsque Jack London meurt, en 1916, il est devenu une véritable institution littéraire. Il n'avait que 40 ans, mais sa vie intensément vécue avait été un véritable roman constitué de chapitres plus poignants les uns que les autres. En effet, l'écrivain reconnu, consacré par une somme littéraire véritablement colossale, n'était pas destiné à la réussite.
John Griffith Chaney - avant qu'il ne prenne le nom de Jack London - avait été un bébé recueilli, un orphelin qui aura tôt fait de connaître l'errance, les privations, la faim, une misère terrible qui rejetait les gens tels que ses parents adoptifs sur le bas-côté de la route. L'Amérique ne pouvait pas nourrir tous ses enfants et en tout cas elle ne donnait pas à manger au petit Jack qui ira grossir les rangs des démunis. Drôle d'époque, et non moins drôle d'enfance que celle de Jack London qui avait du malheur son compagnon de route. C'est donc à l'école de la vie que le futur grand écrivain fera ses classes. On verra plus tard qu'elles en valaient bien d'autres, car combien de fils de bonne famille, énormément plus avantagés que lui ne lèguent même pas à la postérité la plus infime trace de leur passage sur cette terre. Si la comparaison devait être faite, Jack London gagnerait à tous les coups au change. Il n'avait pourtant rien prémédité, ni l'infortune ni la prospérité. Jack London par intuition avait appris à appliquer les consignes de l'existence : travailler pour se procurer du pain, trouver tous les jours une raison de croire que demain est toujours plus beau. De fil en aiguille, la quête de Jack London le mène à la mer, à ce monde secret et donc attirant des bateaux.Il devient marin mais pas pour se lancer dans des croisières de plaisance mais pour partir à l'implacable chasse au phoque. C'est sur ce socle fondateur que reposera toute l'œuvre littéraire à venir de Jack London. La mer, les bateaux et les animaux sauvages lui fourniront les aliments dont se nourrira sa magnifique fresque littéraire, celle d'un conteur fraternel qui a trouvé dans l'écriture le chemin le plus court pour envoyer un message humaniste. Jack London, au terme d'une vie bien courte, a écrit une vingtaine de romans dont certains sont parus après sa mort. Le premier d'entre eux, Le fils du loup, annonce la tonalité d'une œuvre âpre mais en même temps généreuse que l'auteur a déduite de l'expérience de sa propre vie. Le fils du loup, Jack London l'a écrit alors qu'il n'avait que 24 ans. Il signait une entrée en matière fracasse dans un univers littéraire auquel il manquait. Qu'aurait été la littérature sans des livres tels que L'appel de la forêt, Le peuple d'en bas, Le talon de fer, Les mutinés de l'Elseneur, Martin Eden, Le vagabond des étoiles et surtout Croc-Blanc, ce chef d'œuvre qui aurait la grandeur de Jack London s'il n'avait écrit que ce seul livre. On peut comprendre l'œuvre de London comme une relation fusionnelle entre la nature, les hommes et les animaux. On pourrait être tenté de conclure que l'auteur suggère qu'il y a de la bestialité chez l'homme et une part d'humanité chez la bête. Le raisonnement de Jack London est moins minimaliste tout de même, car dans ses romans, il restitue ce qu'il y a de magnifique dans le lien quasi affectueux entre l'homme et la bête. Croc-Blanc est générique de la noblesse du sentiment d'un auteur que ses convictions politiques avaient porté à défendre les faibles et les réprouvés dont il avait fait partie, mais bien plus encore à se soucier de l'intégrité de la nature et de la préservation des espèces animales. Le loup, indomptable et subtil, incarnait pour Jack London un symbole de la liberté. Il en avait fait un personnage récurrent de sa superbe somme littéraire. Cet écologiste avant l'heure avait identifié le droit à la dignité comme une demande politique dont découlent des exigences sociales qu'il était particulièrement bien placé pour connaître, car il avait été pauvre. Sa voie est dans ce sens unique et privilégiée même si certains exégètes ne craignent pas d'affirmer qu'il y a du David Henry Thoreau, le poète américain chantre de la nature et du Jean-Jacques Rousseau dans Jack London. Pourquoi pas dans la mesure où personne d'entre eux ne sort amoindri de cet apparentement.

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