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«Ma chance: j'ignore ce qu'est la haine»
KADDOUR M'HAMSADJI S'ENTRETIENT AVEC YASMINA KHADRA
Publié dans L'Expression le 19 - 11 - 2008

Voici quelques généralités que certains trouveront sans doute un peu tirées par les cheveux, un peu abruptes, superficielles même - mais, sobres parce que sincères, elles sont pour moi une préoccupation qui fait raison des préoccupations de Yasmina Khadra et de tous nos créateurs assez nourris d'un long passé algérien comme lui, pour ajouter avec humilité quelque chose de neuf à la littérature algérienne d'aujourd'hui. Déjà se dessine, dans la plupart des oeuvres récentes publiées, en Algérie, une nette tendance à faire, au présent, mieux se rejoindre passion, éthique et esthétique dans le creuset de l'authenticité, et sans lesquelles tous les genres littéraires abordés pour dire l'Algérien et sa société seraient dérisoires pour susciter des chefs-d'oeuvre et, à tout le moins, pour impressionner longtemps une génération de lecteurs.
Voici une manifestation d'amitié telle qu'elle devrait exister dans la société des artistes, - si toutefois nous sommes d'accord que les écrivains sont avant tout des artistes et que tout artiste a un avenir. Il n'est pas d'écrivain qui ne désire la reconnaissance de ses pairs, de ses lecteurs, de son pays. Et ce n'est pas trop grave que l'unanimité ne se fasse autour de lui, car le temps, le temps sage des sages, le fera finalement reconnaître par les siens. Mais à l'heure de l'indispensable coup de chiquenaude bienfaisant qui ferait prendre enfin son essor à notre culture riche de ses fruits et qui lui assurerait son légitime rayonnement dans le monde, je ne sais quelle malédiction, devenue habituelle chez nous, brûle les esprits de nos intellectuels. En sommes-nous encore, manquant de conscience, de courage et de vigilance, des piégeurs d'idées, prêts à occire nos propres valeurs?
Yasmina Khadra, comme ses aînés, n'a pas échappé, il n'échappera pas, autant ailleurs qu'ici, aux lâches sarcasmes des aigrefins terriblement envieux, mais, l'effet produit sur l'Algérien est plus douloureux ici qu'ailleurs. Tout le monde le sait et sait pourquoi.
Aux premiers jours de l'indépendance, à l'Union des écrivains algériens, nous étions tous heureux: la vie serait belle pour chacun de nous. Nous disions avec émotion et fierté: «L'Algérie est un immense chantier où chaque Algérien a droit à une place; il aura sa place, car il n'y aura jamais assez de bras et de cerveaux pour construire notre pays dans l'union et la fraternité.» Oui, nous disions cela, et puis nous nous sommes tus. La passion d'aimer a cédé à la passion de dénigrer, à l'indifférence puis au dédain, et il n'y a rien de pis que cela. Mais la plus belle force demeure dans le devoir de produire, en dépit de toutes les tempêtes, faire son oeuvre avec l'assurance tranquille que c'est une exigence primordiale pour que la culture algérienne s'épanouisse. Qui ne voudrait cela? Les anciens, malgré leur arthrose, émergent des brumes de l'oubli, quand seulement l'extase se saisit de quelque chercheur de gloire universitaire, les jeunes, en proie au don d'écrire, piaffent au seuil de la légitime ambition d'entrer dans «le cercle des poètes disparus». Trop tôt, on écrit pour rêver; trop vite, on oublie que ce n'est qu'un rêve s'il n'a pas de racine. C'est ainsi que je m'explique mon propre engouement pour une oeuvre tentée par une lucidité poignante et une sincérité sans défaut, exprimant le désir et la volonté de l'écrivain d'être soi-même, de tirer de son héritage et de ses espérances les éléments destinés à construire, au-delà de son univers personnel, l'univers de la société qui l'a fait. Yasmina Khadra nous dit «J'écris parce que j'aime», sa loi de ce choix révèle et son tempérament et son expression. Et c'est par là que notre écrivain réussit à préserver sa liberté d'action, à être fidèle à l'Algérien qu'il est.
L'Expression: Vous venez de remporter le Prix Roman France Télévisions 2008 pour Ce que le jour doit à la nuit, titre d'une grande puissance symbolique. Où en êtes-vous maintenant avec vous-même, après «les aberrations parisianistes» des jurys? Mais après tout, à quoi sert un prix quand le vrai grand prix c'est le grand nombre de lecteurs qui vous suivent?
Yasmina Khadra: Je n'ai pas parlé des prix littéraires, mais de l'attitude des institutions littéraires parisianistes qui ont constamment observé le même mépris pour le talent algérien quand il a le malheur de rester digne. Mammeri, Yacine, Dib, Boudjedra en savent quelque chose. C'est dommage. Je n'ai pas écrit dans la presse. Un journaliste me pose une question sur l'ostracisme qui me frappe et j'ai répondu. Ni en colère ni en catimini. J'ai toujours répondu aux questions, souvent désobligeantes, que l'on me pose. Les «aberrations parisianistes» sont un euphémisme. Il s'agit, plutôt, d'une malveillance traditionnelle nourrie aux sources des rancoeurs et du racisme. J'en ai parlé clairement dans Les Sirènes de Bagdad. La reconnaissance, je l'ai, et il ne s'agit pas de mégalomanie, comme s'en gargarisent certains frères qui me prennent pour leur Mur des lamentations. Je ne suis qu'un Algérien qui travaille, oeuvre, écrit avec ses tripes sans tricher et sans mentir. Le Prix France Télévisions est décerné par des lecteurs honnêtes, vrais amoureux du livre et respectueux des usages censés consacrer un effort sain et généreux. Mon roman, même disqualifié sans procès, a retrouvé intact son lectorat. Les critiques ont été encourageantes en France comme en Algérie, et particulièrement en Belgique et au Canada. Les libraires l'ont soutenu. Que demander de plus, sinon que l'injustice et l'exclusion s'assagissent?
Quelles sont vos intentions en publiant Ce que le jour doit à la nuit? Est-ce vraiment une autobiographie? Est-ce un roman qui ressemble plutôt à une explication qui prétend remuer des situations humaines pendant la longue colonisation dont on dit qu'elle a déshumanisé le peuple algérien, - tout le contraire des objectifs de civilisation, une civilisation annoncée au clairon et au canon?...
Y. K.: Autobiographique? Vous me trouvez si vieux que ça? J'ai écrit un roman, une fiction, avec des personnages imaginés. Mon objectif n'est autre que de proposer un grand moment de lecture. Je ne compte rien remettre en question, ni susciter la polémique. J'estime que l'Algérie n'est pas suffisamment racontée, et il me plaît de la vivre de façon singulière dans mes textes. J'ai essayé de restituer une époque souvent falsifiée à des fins politiques ou idéologiques, en m'inspirant de repères historiques. Je suis très fier du résultat.
Ce roman comptait plus que tous les autres, pour moi. Je le porte depuis plus de deux décennies, reportant à chaque fois son écriture. Je voulais réussir quelque chose, écrire un grand livre à l'image des souffrances et des défis des Algériens. Son impact est rassurant. J'espère que les Algériens vont l'apprécier, eux aussi. Je regrette que le prix soit excessif, pour les bourses modestes, mais je n'ai aucune influence pour le revoir à la baisse.
Votre absence au 13e Salon du Livre d'Alger a chagriné vos lecteurs et vos amis. Que voudriez-vous leur dire?
Y. K.: Les organisateurs du Salon n'ont pas été honnêtes. Ils savaient que j'étais engagé ailleurs, plus précisément à Carthage. Je leur ai expliqué qu'il m'était impossible d'être à Tunis et à Alger en même temps. Je regrette pour les amis qui m'ont attendu. Par ailleurs, je n'apprécie pas les conditions qui faussent chaque année ce Grand rendez-vous littéraire. Lorsque j'apprends que certains auteurs algériens n'y sont pas désirables, je préfère me solidariser avec eux. Un Salon algérien se doit d'accueillir tous les Algériens. Ces exclusions brutales sont la cause de toutes les colères qui, souvent, fragilisent nos écrivains et les exposent à toutes sortes de dérives. Il est grand temps, pour nous tous, de nous soustraire aux camisoles de force de nos frustrations pour permettre le retour progressif de l'apaisement. J'ai horreur des interdits, des censures et des mises en quarantaine.
Il y a «du bruit et de la fureur», en Algérie, à la sortie de vos ouvrages, chaque fois que vous bougez pour faire oeuvre d'écrivain algérien dont l'art appartient ensemble à l'esthétique et à l'éthique. J'aimerais, à travers votre sentiment, comprendre pourquoi, - aussi ai-je envie de vous demander, si tant est vous avez une réponse qui ne vous désoblige pas - pourquoi tout ça, selon vous, et, quelle que soit votre réponse, «vous écrivez pour qui?»
Y. K.: J'écris pour ceux qui daignent me lire. Jamais au détriment de ceux qui me boudent. J'écris parce que j'aime. J'écris pour partager. Jamais je n'ai pensé rendre malheureux certains de mes proches simplement parce que j'écris. A Tunis, pas une fois, pas une toute petite fois je n'ai entendu un reproche. Tous les gens que j'ai rencontrés, dans les rues, les librairies, le cinéma - universitaires, journalistes, écrivains, simples lecteurs - m'ont dit leur soutien et leur fierté. Au Maroc, le même accueil et la même fraternité. En France, une poignée d'intellectuels surveille la moindre de mes apparitions pour sombrer dans l'invective et la contestation la plus féroce et surnaturelle. Ceci dit, je ne leur en veux pas.
L'assurance de votre vérité personnelle en tant qu'écrivain, me touche beaucoup. Dites-nous, à votre sens, faites-nous connaître quelques clés que vous auriez usinées grâce à votre expérience d'écrivain reconnu dans le monde entier et qui pourraient aider à rétablir la foi de l'écrivain algérien, de l'Algérien tout court, qui se passionne pour son pays et qui, de temps à autre, pousse un cri de désespoir. Quel est le cri de défi qu'il faudrait faire entendre à tous?
Y. K.: D'abord, réapprendre à aimer les Algériens. Dieu! Que la détestation est mortelle. Rarement, la méchanceté algérienne n'a été aussi virulente et de mauvaise foi. Et ce n'est pas en contestant les autres qu'on les supplante. Il faut travailler, lire, s'instruire en permanence. Ma force, je la puise de mes aînés. Je n'ai jamais haï mes aînés. J'en ai fait mes idoles, mes lièvres fiables, capables de mener ma course comme il me convient. Kateb Yacine, Malek Haddad, Moufdi Zakaria, et les autres furent mes repères. J'étais fier d'eux et je m'inspirais de leur génie pour me construire. Si je m'étais amusé à les descendre en flammes, j'aurais fini en enfer; l'enfer de mes inaptitudes à me dépasser, à créer, à toucher les gens. Tant que les écrivains algériens continueront de se déprécier et de se vouer des haines effarantes, ils ne pourront pas recouvrer cette sérénité sans laquelle aucune inspiration n'est féconde. On n'a aucune chance de toucher les gens si on ne sait pas aimer. L'amour est essentiel dans la construction de soi. La haine et la vilenie sont des toxines dévastatrices. Tel un mal urticant, elles procurent une fausse jouissance qui s'élabore à vos dépens. Pareille à une démangeaison violente, plus vous cédez à son prurit, plus vous vous saignez à blanc. Ma chance: j'ignore ce qu'est la haine.


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