On croyait le débat sur le rôle positif du colonialisme épuisé, la loi du 23 février 2005 qui l'avait suscité étant morte de sa belle mort. Cette loi avait été jugée scélérate. Elle fut, dans la lettre et l'esprit, à contre-courant de la marche du temps. Elle avait été élaborée en tapinois, à la hussarde, ses concepteurs ayant manifestement choisi le biais le plus sournois pour l'imposer comme une irréfutable vérité absolue. Son retrait n'empêche pas certains intellectuels français de revenir à la charge. Ce sont ceux-là mêmes qui avaient squatté les plateaux de télévision et les colonnes des journaux de leur pays pour affirmer que la France coloniale avait rendu service à l'Algérie qu'elle avait conquise en y traçant des routes, en y construisant des hôpitaux et des écoles dont les Algériens d'aujourd'hui tirent avantage. Quel tragique manque de clairvoyance. Qui peut croire à une si pitoyable contre-vérité étant entendu que ce sont les seuls colons qui eurent l'usage de ces réalisations de la France coloniale en Algérie. Mais le problème n'est même plus là. Il réside dans l'incapacité, que désignent implicitement ces cercles intellectuels, qu'auraient eu les Algériens à tracer des routes, à construire des écoles, etc. Ce qui les fonde donc à la légitimation du fait colonial. La question qui se pose alors à l'égard de ces intellectuels est celle de savoir qui les a faits juges ? Car ils sont bien seuls à penser, et à affirmer, que les Algériens étaient demandeurs, en 1830, d'une longue séquence coloniale qui s'est traduite par le durable déni de leur identité. C'est une manière tout à fait indécente d'imposer aux victimes qu'elles adorent leurs bourreaux. On relève dans ces convictions d'un autre temps le poids de préjugés solidement ancrés et qui sont d'autant plus aberrants venant de la part d'intellectuels réputés éclairés. Cela rend d'autant plus suspect leur acharnement à vendre l'image d'un colonialisme positif en Algérie. Les massacres, les spoliations, les camps d'internement, les déplacements de populations, entre autres effets mortifères, sont donc nuls et non avenus ? Bientôt, on voudra nous faire croire aussi qu'il n'y a jamais eu d'esclavage, ni de génocide, que les Indiens d'Amérique se sont évaporés dans la nature et que les civilisations aztèque ou inca se sont transportées sur la planète Mars. Les morts de Sétif et de Guelma n'existent que dans l'imaginaire de l'Algérie indépendante. On en arrive en fait à une espèce de dramatique révisionnisme à rebours, car dans le même temps la guerre des mémoires est mise à l'index. Comment des intellectuels dignes de ce nom peuvent-ils considérer, en 2006, qu'il y a une hiérarchie dans la souffrance humaine ? Le malaise français, qui s'était traduit par les événements des banlieues, réside dans l'inaptitude manifeste de ses élites, tombées dans un délire nombriliste, à prendre la bonne mesure du monde qui avance. Il n'est de pire sourd que celui qui ne veut rien entendre.