Créateurs et public partagent-ils aujourd'hui le même langage, les mêmes codes ? Ont-ils une même conception du 4e art en Algérie ? Telles sont quelques-unes des questions auxquelles ont tenté de répondre Makhlouf Boukrouh, critique dramatique et professeur à l'université d'Alger, et Abdelkader Djeriou, comédien, lors d'une conférence débat animée, dimanche, à la salle de spectacle du théâtre régional de Sidi Bel Abbès. Dans sa communication intitulée «Problématique du récepteur», M. Boukrouh fait d'abord remarquer que le public a souvent tendance à «fuir» les pièces écrites à partir de textes du répertoire universel, leur préférant des productions comiques. L'atout massue des comédies théâtrales est qu'elles sont, en général, présentées en arabe dialectal et traitent, avec dérision, les sujets que vit l'Algérien dans son quotidien. Des sujets qui intéressent de près le spectateur. Est-ce la raison qui fait que le public «boude» le théâtre ? Pour le conférencier, l'institution théâtrale est en réalité en situation de «rupture» avec son public, tant au plan de la créativité que de la communication. «L'institution théâtrale ne connaît pas les goûts de son public, ignore ses préférences», dit-il, tout en réfutant l'idée répandue de salles combles dans les années post-indépendance. Se basant sur ses propres observations, il affirme que le Théâtre national algérien (TNA) affichait déjà, dans les années 1960, 1970 et 1980, une affluence «réduite» et «irrégulière» du public. Ce constat, valable de nos jours, s'explique notamment, selon lui, par le fait que les concepteurs de pièces de théâtre font de moins en moins dans la création, contribuant, de ce fait, à la défection du public. Le fait que le théâtre algérien soit dominé par les adaptations est d'ailleurs révélateur du déficit en matière de création. La non-affluence du public a trait aussi à la programmation, la distribution et la promotion, qui ne sont certainement pas les domaines où excellent le plus les théâtres. «Un spectacle devrait être pensé et considéré comme un événement artistique, jouir d'une large promotion et s'intégrer dans un marché culturel pour capter le plus de public possible», soutient M. Boukrouh. Le conférencier déplore, par ailleurs, le fait que l'université ne s'intéresse pas assez à l'étude du public. Ce n'est que récemment, dit-il, qu'une étude scientifique sur les «usages et pratiques des produits médiatiques et culturels en Algérie» a pu être lancée dans le cadre d'un laboratoire de recherche, à l'initiative de la faculté des sciences de la communication de l'université d'Alger. Pourquoi le théâtre n'arrive-t-il pas à accrocher le public, malgré les tentatives de diversifier les productions en abordant des thèmes différents ? C'est là un autre point abordé par le second intervenant, Abdelkader Djeriou, pour qui les dramaturges doivent se mettre à l'écoute de la société. «Le public d'aujourd'hui est en majorité jeune, un public raï, qui a ses propres codes. Il est attiré plus par des spectacles dont les ingrédients sont la musique et la chorégraphie sur scène». Lors du débat qui s'en est suivi, les différentes intervenants ont insisté sur le rôle des médias, audiovisuels en particulier, dans la promotion de la production théâtrale. Certains parmi les intervenants ont, en outre, mis en avant la nécessité d'enseigner les arts dramatiques dès le primaire. Prenant la parole, des comédiens ont estimé qu'il faudrait revoir tout le fonctionnement des théâtres d'Etat. «Pourquoi le 4e art se confine-t-il dans les salles de théâtres, pourquoi n'y a t-il pas de théâtre de rue, du théâtre de boulevard ? Ce sont les gens du spectacle qui fuient le public, pas le contraire», lance l'un d'eux du fond de la salle. Clôturant les débats, M. Boukrouh souligne que le théâtre algérien souffre moins d'une crise de «public» que d'une crise de «politique théâtrale».