La toute-puissante Sonatrach avait oublié de rajouter dans le contrat signé en 2004 avec l'américain Anadarko la taxe sur les superprofits. Cet «oubli» coûtera très cher aux Algériens, soit plus de 5,9 milliards de dollars remboursables en pétrole, à un moment où celui-ci commence à nous manquer. Un «oubli» qui coûte des milliards de dollars. La compagnie nationale des hydrocarbures Sonatrach est obligée de fournir l'équivalent de 4,4 milliards de dollars de pétrole au cours des 12 prochains mois à la firme américaine Anadarko. L'accord à l'amiable entre Sonatrach et Anadarko prévoit en plus des 4,4 milliards de dollars de pétrole remboursables, ils obtiennent également, selon cet accord, un volume plus élevé de pétrole estimé à 2,6 milliards de dollars environ, pour la durée du contrat. L'accord prévoit aussi de prolonger à 25 ans la durée d'exploitation de chaque gisement. Le litige entre Sonatrach et Anadarko remonte à 2006, l´année où le gouvernement algérien qui, voyant la hausse continue du prix du baril, avait décidé d´introduire une taxe sur les profits exceptionnels (TPE) réalisés par les compagnies étrangères opérant en Algérie. Les dirigeants de Sonatrach crient au triomphe en exprimant leur soulagement et leur satisfaction et déclarent avec fierté que la loi sur les TPE restera en vigueur et que cette loi instaurée en 2006 leur a permis de gagner 10 milliards de dollars. La compagnie pétrolière américaine Anadarko s'est opposée à cette taxe et a même menacé Sonatrach de recours à l´arbitrage d'un tribunal international, c'est son droit le plus absolu. Dans un accord d'arbitrage, Sonatrach devrait payer une compensation de l'ordre de 4,4 milliards de dollars. Dans une déclaration faite à l´agence de presse Reuters, l'attaché de presse d'Anadarko a commenté cet accord en disant que les concessions ont été faites de part et d'autre et dans un style de langage de marketing, il a présenté les gisements pétroliers algériens comme un futur eldorado. Mais voilà, sachant que dans notre pays toutes les magouilles économiques se discutent dans un carré d'une poignée de gens qui dirigent le pays sous le dogme de la politique des coulisses et de l'opacité. Selon un expert boursier algérien, qui exerce dans les rouages flous de l'Etat, dont nous gardons l'anonymat, il considère que le montant de compensation de 4,4 milliards de dollars que Sonatrach souhaite verser à Anadarko est une arnaque à grande échelle. Et même si Sonatrach accepte l´arbitrage international et qu'elle perde la partie, elle ne sera jamais contrainte de payer des dommages et intérêts dépassant le 1,5 milliard de dollars. Il s'explique par les chiffres et donne son point de vue sur la compagnie Anadarko. Voyons ensemble de plus près et avec des chiffres à l'appui cette arnaque. Premièrement, qui est Anadarko ? Cette compagnie que les dirigeants de Sonatrach ainsi que certains médias algériens décrivent comme un colosse pétrolier n'est en réalité qu´un petit acteur de la sphère pétrolière internationale. Anadarko est une compagnie pétrolière américaine spécialisée dans l´exploration ainsi que l´exploitation des gisements pétroliers et gaziers. Aux USA, son activité se localise sur des gisements de l'Alaska et du golfe du Mexique et à l´étranger, elle est implantée dans plusieurs pays dont les principaux sont l'Algérie, le Brésil, la Chine, le Ghana, le Mozambique et le Trinidad. Faisons maintenant connaissance avec son identité financière. APC est le symbole boursier d'Anadarko. En 2010, cette entreprise a réalisé un chiffre d'affaires de 10,65 milliards de dollars. Durant la même année, Sonatrach a fait un chiffre d´affaires de 75 milliards de dollars et la compagnie pétrolière française Total en a fait 140 milliards de dollars. La valeur d'Anadarko sur le marché boursier est de 42,2 milliards de dollars et celle de Total est de 99,6 milliards de dollars. Les actifs d'Anadarko en 2010 étaient évalués á 51,55 milliards de dollars (ceux de Total étaient de 142 milliards de dollars). Le bénéfice net d'Anadarko en 2010 était de 761 millions de dollars (celui de Sonatrach était de 10 milliards de dollars). Son passif, qui est toujours égal à son actif, pour l'année 2010, était de 51,55 milliards de dollars, dont 30,23 milliards de dettes et 20 milliards de capitaux propres – cela montre clairement que Anadarko ne vit pas dans une aisance financière. Son cash-flow net pour l'activité opérationnelle de 2010 était de 5,24 milliards de dollars. Tous ces chiffres cités servent d'observation pour les mettre en proportion avec le montant de 4,4 milliards de dollars que Sonatrach compte rembourser à Anadarko. Ces chiffres sont également une preuve que cette entreprise est loin d'être un géant comme on le présente et surtout la différence qu'il y a entre Anadarko et Sonatrach. Que représentent ces 4,4 milliards de dollars pour les éléments de la fiche financière d'Anadarko ? Ils représentent plus de 5 ans de bénéfices (en se référant au bénéfice net de 2010 et qui est de 761 millions de dollars). Ils représentent 42% du chiffre d'affaires d'Anadarko pour 2010 et presque la totalité du cash-flow net de son activité opérationnelle de la même année. Passons maintenant à une autre vérité qui va jeter des doutes sur la crédibilité des déclarations de la partie algérienne. Dans le rapport financier d'Anadarko pour l´année 2010 (un rapport destiné aux investisseurs boursiers et contrôlé par la SEC qui est le gendarme de la Bourse américaine) portant le titre «Current Foreign Income Tax», on lit ceci : en 2010, Anadarko a payé 638 millions de dollars d´impôts pour ses activités à l´étranger, en 2009 l´impôt payé était de 409 millions de dollars et 1,031 milliard de dollars pour l´année 2008. Cela veut dire quoi ? Cela signifie qu'Anadarko a payé 638 millions de dollars d´impôts, pour tous les pays où elle a eu des activités. Mais la question qui nous intéresse est de savoir combien cette société a-t-elle payé à Sonatrach en 2010 ? Probablement, le montant ne dépasserait pas les 300 millions de dollars. Dans le même ordre d'idées, quelle serait la TPE versée par Anadarko à Sonatrach en 2010, sachant que la TPE n´est qu´une portion de l´impôt global ? Quelles sont les pertes ou le manque à gagner en Algérie subies par Anadarko à cause de la loi sur la TPE, et ce, de 2006 à nos jours ? En tant qu'expert, je suis étonné par la déclaration du patron d´Anadarko en Algérie lorsqu'il a affirmé que sa société a subi une remarquable dépréciation de ses actifs en Algérie passant de 10 à 2 milliards de dollars ! Voici la valeur des actifs qui figure dans le rapport financier d´Anadarko de 2010. La valeur des actifs d´Anadarko pour l´année 2008 était de 49,92 milliards de dollars, pour 2009, elle était de 50,12 et pour 2010 de 51,55 milliards de dollars. Alors où est la dépréciation des actifs ? - N. B. : tous les chiffres contenus dans cet article sont déclarés par Anadarko dans ses rapports financiers *Source anonyme Sonatrach
Y. Mérabet. Expert en énergie/Journaliste indépendant AARI (Association algérienne des relations internationales) 119, rue Didouche Mourad (Alger-Centre)