Sortie de la version long métrage de ce documentaire remarquable. Durant tout un été, la réalisatrice, Elisabeth Leuvrey, et son équipe s'étaient embarquées à bord d'un ferry-boat assurant la ligne Alger-Marseille, enregistrant la chronique humaine à bord de ce navire, dressant des portraits de ses passagers, les laissant défiler leur mémoire au gré du sillage. Cela avait donné le documentaire La traversée, sorti en 2006. Depuis, le film avait connu une belle carrière, recevant de nombreuses distinctions lors des festivals internationaux. Il avait reçu ainsi, dès sa sortie, le prix du Patrimoine du Festival Cinéma du réel (Paris) et le Grand Prix du Festival du film marin (Saint Cast Le Guildo), puis le prix Découverte 2008 de la SCAM (Société civile des auteurs multimédias) association de droits d'auteurs qui regroupe plus de 25 000 membres des secteurs de l'audiovisuel, de la radiophonie, etc. Entre-temps, en 2007, il avait été programmé sur la chaîne Arte. Récemment encore, il a reçu le prix Bouamari-Vautier, décerné par l'Association France-Algérie. A cette occasion, Elisabeth Leuvrey avait confié : «La traversée est une étape d'une longue route sur laquelle je me suis engagée il y a plusieurs années, en entreprenant de retourner en Algérie qui est ma terre natale, pour y mener un travail documentaire sur la question de la mémoire, de l'identité et de la transmission.» De fait, le documentaire, d'une durée de 55 minutes, est avant tout une sorte de huis clos en pleine mer, où les protagonistes, simples passagers en partance ou de retour, dans les deux sens, délivrent leur mémoire à partir de leur expérience de vie. A travers cette psychanalyse maritime, confortée par l'anonymat et la caractéristique du lieu – un bateau dans une immensité liquide –, ils racontent et se racontent, allant des faits les plus anodins en apparence aux grands événements de l'histoire auxquels ils ont assisté ou participé. Ces bribes humaines finissent pas constituer un puzzle aussi instructif qu'émouvant de la relation entre la France et l'Algérie, de ses traumas historiques, ses sagas individuelles, ses échanges marqués par l'adversité coloniale mais également par une richesse de situations et de perspectives. L'avantage d'une telle approche est qu'elle se trouve d'emblée débarrassée de discours ou de commentaires politiques, historiques ou sociologiques. Aucune voix off ne vient imposer un point de vue autre que celui des «acteurs» de cette traversée et seul le bruit de la machinerie du navire ou des flots contre sa coque s'invite en fond sonore. Jeudi dernier, plusieurs salles de cinéma françaises ont accueilli la sortie nationale de la version long métrage de ce documentaire qui a subi plusieurs modifications. D'abord une nouvelle durée, faisant passer le film à une heure douze minutes. Ensuite, un nouveau montage qui a récupéré des rushs intéressants que la cinéaste n'avait pas pu utiliser dans la version initiale. Enfin, et non des moindres, un accès aux grands écrans aux effets d'image et de son plus spectaculaires. C'est un nouveau film en fait qui sort de cette mutation. Mais c'est surtout à travers une diffusion plus populaire et donc un contact avec le grand public que La traversée peut espérer connaître une nouvelle carrière en suscitant une réactivité directe des spectateurs. Le film, conçu dans cet esprit, le mérite sans doute.