Le président provisoire tunisien, Moncef Marzouki, aura à répondre en séance plénière aux reproches de 77 membres de l'Assemblée nationale constituante (ANC) qui ont déposé une requête pour sa mise à l'écart. Tunisie De notre correspondant L'aboutissement de cette demande dépend de la position des islamistes d'Ennahda, alliés de Marzouki au sein de la troïka gouvernante depuis décembre 2011. Le bureau de l'ANC examinera ce matin de manière formelle la requête déposée par 77 députés pour destituer le président Marzouki. Si jamais cette demande est conforme aux termes de l'organisation provisoire des pouvoirs (ce qui est semble-t-il le cas), une date est fixée pour son passage en plénière. Ainsi, après la motion de censure contre la ministre de la Femme, Sihem Badi, qui a sauvé son portefeuille ministériel le 16 avril, c'est au tour de Marzouki de subir la colère de l'opposition tunisienne. Quelles sont les raisons de cette montée des périls et pourquoi maintenant ? Tout a commencé le 27 mars suite à une interview de Marzouki sur Al Jazeera, à Doha, où il s'était attaqué à l'opposition, la menaçant de «potences populaires» en pleine rue si jamais elle songeait à déloger la troïka gouvernante. Ces propos ont été mal accueillis par la classe politique, surtout que ce n'est pas la première fois que le président provisoire s'attaque à la Tunisie à partir de l'étranger. Qui va sauver le «soldat» Marzouki ? Il avait fait la même chose l'année dernière, à partir de Nouakchott, et on lui avait reproché son attitude. Marzouki n'a donc pas compris la leçon. Pis, selon le député Samir Taïeb, porte-parole du parti Al Massar (centre gauche) et initiateur de la requête, «il n'a pas compris que le peuple tunisien n'admet pas autant de servitude de la part de son président, même provisoire, à l'égard de cette petite principauté du Golfe». Cette première requête avait réuni 76 signatures, avant que les six représentants d'Al Aridha Chaâbia (courant populiste) ne se désistent. Or, un minimum de 73 voix (le tiers +1) est requis pour faire passer en plénière une requête de destitution. Il avait donc fallu retrouver d'autres voix pour boucler la requête. Et c'est Marzouki lui-même qui a donné, le 11 avril, un nouveau souffle à la requête en proférant, de nouveau, des menaces contre ceux qui s'attaquent au Qatar. Samir Taïeb est ainsi revenu à la charge et est parvenu à réunir 77 signataires. L'organisation provisoire des pouvoirs stipule que le bureau de l'ANC dispose d'une semaine pour examiner la conformité de la requête avec les procédures et qu'il est appelé à fixer une plénière au cours de la semaine suivante si jamais la motion est formellement acceptable, ce qui serait le cas. Face à un tel engrenage, le cabinet présidentiel a essayé d'éviter au président ce passage en «accusé» devant l'Assemblée. Le directeur du cabinet, le nouveau secrétaire général du CPR, Imed Daïmi, a ainsi tenté d'influer sur certains constituants pour qu'ils retirent leurs signatures. Mais sa tentative fut vaine. Pis encore, Daïmi a courtisé les membres d'Al Aridha, n'étant pas au courant de leur désistement antérieur. Il leur a offert une invitation au dialogue national se tenant sous l'égide de la Présidence en contrepartie de leur lettre de désistement. Grande fut la déception de Daïmi lorsqu'il a découvert que ce retrait était caduc dans la mesure où les six membres concernés ne font pas partie de la liste déposée mardi 16 avril au bureau d'ordre de l'ANC réclamant la mise à l'écart de Marzouki. Le dépôt de la requête de destitution ne veut nullement dire que Marzouki va être mis à l'écart. Son sort est maintenant entre les mains des islamistes d'Ennahda. L'opposition a déjà fait le plein en recueillant 77 signataires pour sa motion. Elle ne peut obtenir les 109 voix nécessaires qu'avec l'apport d'Ennahda. Or, les islamistes ont plutôt besoin d'un président marionnette entre leurs mains qui sera dorénavant plus souple sur les différends concernant le projet de Constitution et l'échéancier électoral. Les islamistes ne vont donc pas lâcher Marzouki mais ce dernier a perdu sur tous les fronts. Il est déjà affaibli au niveau de son clan, divisé en trois partis (CPR, Wafa et le courant démocratique). Il est un pion aux mains d'Ennahda sur l'échiquier politique. A-t-il encore un avenir politique ?