Nous avons, aujourd'hui, le recul nécessaire pour étudier, en toute lucidité, en toute objectivité, la personnalité et l'œuvre de Rédha Houhou (1). Qu'il soit au plus haut degré représentatif de l'Algérie des années quarante et cinquante, ses « œuvres d'expérience » ; comme La belle de La Mecque et les fleurs algériennes le prouvent assez. La leçon que suggèrent le théâtre et les nouvelles de Rédha Houhou est une leçon révolutionnaire pour tout le peuple algérien : « N'oublie pas, dit un des personnages de fleurs algériennes, que tu la trouveras parfois, la révolution, mais que parfois tu n'auras pas de vis-à-vis, et ces fois-là, il faudra te montrer patient ; puisque la patience est ce qu'il y a d'indispensable lorsque l'on n'a pas de vis-à-vis... ». Pionnier du roman algérien écrit en arabe, Rédha Houhou s'est montré très sensible aux réalités sociales des Algériens dans les années quarante et cinquante. Enfant de Constantine, il a été élevé dans l'atmosphère de dégradation des conditions de vie de ses concitoyens algériens. Chez lui, le monde extérieur est toujours là, avec ses « étrangers », avec la pauvreté sordide d'un appartement minuscule où le héros (le père) est obligé de sauter par-dessus les corps de ses enfants, endormis pour accéder aux toilettes ; avec l'épreuve de la misère quotidienne où la préparation d'un repas simple en l'honneur d'un invité devient un véritable tour de force. Un historien tirerait des pièces de théâtre de Rédha Houhou un tableau d'époque capable d'expliquer toutes les particularités de l'Algérie colonisée. « Nous découvrîmes tout à coup, raconte l'un des personnages de fleurs algériennes à propos de son arrivée à Constantine où il lui fallait trouver un travail, qu'il y avait deux sortes de gens : les colons et les indigènes - et que nous appartenions à la seconde catégorie ». La lourde et suave mélancolie, qui se dégage des meilleures nouvelles de Rédha Houhou, conclut à l'impossible coexistence de ses deux catégories qui se haïssent parce que la première se sent supérieure à la seconde. Cependant, si atemporel que paraisse au premier regard, un roman comme La belle de La Mecque, il contient un exposé extrêmement grave et pénétrant de la situation de la femme algérienne dans les années quarante. Ce roman démontre avec quelle adresse souveraine, avec qu'elle habileté dans le jeu, Rédha Houhou domine l'affreuse histoire de la condition féminine et le soin qu'il prend pour démontrer que les « Musulmans », en particulier les « indigènes » algériens, ne peuvent jamais progresser socialement et humainement tant que la femme n'est pas libre et émancipée. La personnalité de l'auteur de La belle de La Mecque est constituée, dans son comportement social, par une alternance d'acquiescement et de refus (2), sous laquelle transparaît la résolution de maintenir une indépendance intellectuelle et morale, dont l'artiste a besoin pour le libre jeu de sa création. Cette indépendance, précieuse en elle-même, prive parfois Rédha Houhou d'une certaine chaleur humaine et prête à ses œuvres théâtrales ou narratives une froide objectivité. Quant à son esthétique littéraire, elle se fixe dans un réalisme objectif, vigoureux, direct, de couleurs franches et de vives lumières. (1) Nouvelliste, romancier et dramaturge, Rédha Houhou est considéré comme « le père du roman algérien d'expression arabe ». Cependant La belle de La Mecque reste le seul roman de l'auteur dont certaines de ses œuvres ont été brûlées par les forces coloniales après son arrestation et son assassinat en 1956. (2) Il a été membre de l'association des Oulémas, comme il a été militant du PPA.