Le mufti du Printemps arabe, l'Egyptien «qatarisé» Youssef Al Qaradaoui, ne sait désormais plus à quel saint se vouer, lui qui n'est plus en odeur de sainteté chez beaucoup de ses coreligionnaires. En osant étendre son qamis de prédicateur pour servir la «diplomatie religieuse» de son hospitalier émirat, le cheikh a fini par s'emmêler les pinceaux. Il vient en effet d'essuyer un autre retentissant échec pour avoir tenté le diable au lieu de servir Dieu. Ses disciples du front Al Nosra, qu'il a couverts des mois durant de sa bénédiction pour guerroyer contre Al Assad et qu'il a affublés du qualificatif de «moudjahidine», viennent de lui filer entre les doigts. Leur destination ? Al Qaîda… Ces radicaux parmi les rebelles islamistes en Syrie ne remercieront jamais assez le vieux cheikh qui les a transformés en colombes de la paix à coups de sermons cathodiques via Al Jazeera. Les colombes ont désormais pris leur envol ; et chemin faisant, elles se sont transformées en faucons prêts à piquer (plutôt tirer) sur tout ce qui bouge.Après avoir fait preuve sur le terrain des opérations par des attaques horribles contre les civils, que même les Occidentaux ont fini par reconnaître, les éléments du front Al Nosra puissamment armés par le Qatar ont acquis suffisamment de «technicité» en matière de djihad. En réussissant à avoir le label racoleur d'Al Qaîda, ils auront prouvé en tout cas, que les cours d'initiation de Qaradaoui n'étaient pas vains… A son corps défendant et à son cœur tremblotant, le cheikh, attitré du Qatar, se rend compte que sa fatwa en faveur de la nouvelle recrue d'Al Qaîda s'est muée en une fitna. Il ne reste au controversé Qaradaoui que de pleurer à chaudes larmes d'avoir enfanté un monstre en Syrie. Mais il tente une ultime prière : exhorter ses «saints» soldats d'Allah de revenir sur le droit chemin en renonçant à aller grossir les rangs d'Al Qaîda. Il est presque pathétique le communiqué du prédicateur égypto-qatari qui invitait comme dans un prêche ses frères d'hier du front Al Nosra à demeurer fidèles à l'Armée libre syrienne (ASL). Qaradaoui déplore cette allégeance à Al Qaîda qui a «déchiré les rangs des moudjahidine». Mais il fallait y penser avant ce fatidique 10 avril, quand Al Nosra est tombée officiellement dans les bras d'Ayman Al Zawahiri. Le cheikh tente de titiller l'ego de la nouvelle recrue d'Al Qaîda en Syrie, précisant que le front Al Nosra «a fait ses preuves dans le djihad contre le régime inique de Damas». Des supplications insuffisantes pour émouvoir une meute de tueurs fabriqués par son émirat d'adoption et qu'il a lui-même adoubés. Ironie de l'histoire, Bachar Al Assad, qui a utilisé le spectre d'Al Qaîda pour justifier la guerre contre son peuple, aura vu juste. Grâce, en partie à Qaradaoui !Et c'est hélas un camouflet pour l'opposition et les rebelles syriens qui découvrent au grand jour que leurs rangs sont infestés de djihadistes. Au plan international, la suspicion devient un peu plus grande sur ces djihadistes en herbe qu'on présente pompeusement comme des combattants de la liberté. On comprend mieux, avec du recul, pourquoi les pays occidentaux, notamment les Etats-Unis, rechignent à envoyer des armes à ces rebelles islamistes pas très… catholiques. Quant à Qaradaoui, l'image du cheikh Al Bouti affalé sur le minbar, le corps criblé de balles, devrait le hanter jusqu'à la fin de ses jours.