Les membres du bureau du conseil de l'Ordre ont tenu hier une réunion élargie aux anciens bâtonniers pour préparer l'assemblée générale extraordinaire de demain, alors que du côté du syndicat des magistrats, l'option du dépôt d'une plainte contre le bâtonnier d'Alger fait son chemin. Depuis jeudi dernier, avocats et magistrats de la capitale vivent une tension particulière. Un incident d'audience entre le président du tribunal criminel près la cour d'Alger, le juge Hellali, et le bâtonnier de la même juridiction, Me Abdelmadjid Sellini, a suscité colère et contestation des deux côtés. Hier, le bureau du conseil de l'Ordre élargi à certains anciens bâtonniers s'est réuni dans l'après-midi pour préparer l'assemblée générale extraordinaire de demain, devant statuer sur les actions à mener pour dénoncer ce que les robes noires ont qualifié de «graves dérives commises par certains magistrats». Parallèlement, le président du Syndicat national des magistrats (SNM), Djamel Aïdouni, s'est réuni avec les membres de la section d'Alger pour l'organisation, après avoir entendu les témoins ayant assisté à l'audience où l'incident a eu lieu. Contacté Aidouni déclare : «De par sa qualité de bâtonnier, Me Sellini aurait dû agir avec sagesse et responsabilité. J'ai entendu les conseillers présents à l'audience, ainsi que d'autres témoins. Ils disent tous que l'avocat est allé trop loin dans ses propos en insultant publiquement et en pleine audience le président du tribunal. Il a agi en tant qu'avocat d'un des accusés. Les propos qu'il a tenus ont suscité la colère de nombreux magistrats de la cour d'Alger, qui ont affirmé que l'avocat n'était pas à son premier grief. Ils veulent en finir avec ce genre de comportements qui n'engagent que le bâtonnier et non toute la corporation des avocats que Me Sellini veut entraîner dans cette affaire. Celui-ci a non seulement porté atteinte à la personne du juge, mais également à l'instance qu'il présidait, à savoir le tribunal criminel en présence des conseillers, du représentant du parquet et des journalistes. La loi, notamment l'article 29 du statut de la magistrature, fait obligation à l'Etat de le défendre. De ce fait, de nombreux juges ont réclamé une poursuite judiciaire. Il est vrai qu'il s'est rétracté dans ses propos, lors de sa conférence de presse, mais les écrits des journalistes présents à l'audience ne peuvent pas être ignorés.» Agissant en tant que président du SNM, Djamel Aïdouni révèle que «l'agitation du bâtonnier n'a d'autre explication que celle liée à l'examen du projet de loi portant statut des avocats qui doit être examiné par les députés. Je dis à ces derniers qu'il faut faire très attention. Cette loi ne doit pas être celle des avocats, mais plutôt celle de tous les justiciables». Il a conclu en affirmant que l'affaire sera examinée par le bureau de l'organisation convoqué pour une réunion extraordinaire dans les prochains jours. «Nous n'avons pas la chance de réunir en une journée les membres du bureau, parce qu'ils sont éparpillés à travers plusieurs wilayas. Mais la réunion sera tenue d'ici quelques jours. Des mesures seront décidées à l'issue de cette rencontre», note M. Aidouni. De son côté, Me Sellini persiste et signe. Il déclare avoir «fait l'objet d'une grave dérive qui porte atteinte à la défense et à toute la corporation des avocats. Mon cas n'est que la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Il est question de mettre sur table les problèmes quotidiens dont souffre la corporation et qui sont liés aux conditions d'exercice de la profession dans les tribunaux. Ceux qui refusent d'aller au fond du problème sont ceux-là mêmes qui font obstacle à l'équilibre entre les instances judiciaires et à la bonne gouvernance de la justice. Il y a une manipulation délibérée de l'opinion publique pour détourner l'attention sur les graves dépassements dont sont auteurs quotidiennement certains juges, et qui portent lourdement atteinte aux droits des justiciables». Me Sellini estime que cette crise a démontré qu'«il y a une volonté de porter atteinte à l'image de l'avocat par ceux-là mêmes qui veulent faire de ce dernier un subordonné et non pas quelqu'un qui s'exprime en toute liberté. Ceux qui en veulent à la corporation des avocats cherchent en réalité à faire pression sur les députés pour qu'ils reviennent sur certains points liés au droit de la défense et pour lesquels nous nous sommes battus durant des années». Le bâtonnier espère à la fin voir l'assemblée générale extraordinaire, prévue demain à Alger, «sanctionnée par des actions de protestation destinées à faire réagir non seulement la corporation, mais aussi l'opinion publique». Force est de constater que l'incident de jeudi dernier est en train de faire boule de neige avec comme lourde conséquence la pénalisation du justiciable.