En dépit de la réunion prévue aujourd'hui entre les membres du conseil de l'Ordre, le procureur général et la présidente de la cour, la tension au barreau et la colère des juges n'ont pas quitté le palais de justice, et ce, depuis plus de trois semaines. Ainsi, après les graves propos du président du conseil de l'Ordre d'Alger, Abdelmadjid Sellini, accusant le procureur général, Kadour Berradja, qui, selon l'avocat, dicte aux présidents des chambres correctionnelles les décisions rendues au nom du peuple, c'est au tour des magistrats de revenir une seconde fois sur la scène publique pour dénoncer « ces dérapages » et de prévenir « contre leurs retombées sur l'intégrité des juges ». Dans une déclaration rendue publique à l'issue d'une assemblée générale tenue hier au siège de la cour d'Alger, le syndicat des magistrats a estimé que les propos de maître Sellini, selon lesquels les magistrats des chambres correctionnelles décident sur ordre du procureur général, sont « une atteinte à l'intégrité des juges qui ont sacrifié leur vie de famille pour juguler les retards dans le traitement des dossiers des justiciables ». Revenant sur la question du refus de la cour de rendre publics les noms des juges désignés dans les tribunaux criminels, le syndicat a estimé qu'il s'agit d'une décision légale parce qu'aucun texte ne l'interdit. « Le ministère de la Justice a ordonné la publication des noms de ces magistrats non par amour pour les avocats, mais dans l'intérêt des justiciables, notamment ceux en détention, dont les procès étaient renvoyés du fait du boycott des audiences criminelles par la défense. » Le syndicat s'est déclaré, par ailleurs, « étonné » par les critiques du bâtonnier au sujet des sessions spéciales. « Il y a quelques années, le même barreau a dénoncé les lenteurs dans le traitement des dossiers et l'accumulation des affaires au niveau de la cour. Mais grâce à la volonté et à l'engagement des magistrats qui ont eu à juger au cours de ces sessions spéciales en toute transparence, ce retard a été absorbé. Une situation qui a dérangé les milieux d'affaires et d'intérêts, ceux-là même qui sont derrière cette campagne de dénigrement gratuite et contraire à l'éthique professionnelle dans le seul but d'atteindre les magistrats de la cour d'Alger, vitrine de la justice, et à travers eux la justice (...). Ces attaques ne visent pas la défense de la justice et des avocats. Son objectif est de rendre service à des personnes impliquées dans des affaires ayant porté gravement atteinte à l'économie nationale. » « Affirmer que les présidents des chambres correctionnelles rendent leurs décisions après avis du procureur général est une grave accusation. Il s'agit d'une attaque organisée contre tous les magistrats de la cour d'Alger, présentés par le bâtonnier comme des marionnettes entre les mains du procureur général », a déclaré M. Bellali. Après son intervention, tous les présidents de chambre se sont succédé à la tribune pour exprimer leur protestation contre les déclarations de maître Sellini. M. Belkherchi, président de chambre, a estimé que cette « compagne contre les magistrats a été menée parce que des personnes ont été gênées par la nouvelle organisation et la rigueur des audiences. Ces mêmes personnes n'ont jamais réagi lorsque le magistrat entrait dans les salles d'audience avec au moins 200 dossiers sur les bras (...). Je sais qu'il existe des gens honnêtes dans la corporation des avocats, mais il y a aussi ceux qui aiment pêcher dans les eaux troubles. » PROTESTATION Le magistrat a appelé à « la sagesse » parce que, selon lui, « ces dérapages ne servent pas la justice ». Les mêmes propos sont tenus par M. Bakri, président d'une chambre correctionnelle, lequel a expliqué que les décisions sont collectives et non individuelles comme l'a insinué le bâtonnier. « Non seulement je ne peux donner des ordres aux magistrats qui siègent avec moi à la chambre, mais nous ne recevons aucune injonction d'aucune partie, encore moins du procureur général. Nous avons beaucoup de respect pour la défense et les droits de la défense, qui sont d'ailleurs garantis par la loi. » Un autre président de chambre, M. Noui, a mis l'accent sur l'expérience professionnelle de la majorité des magistrats du siège au niveau de la cour d'Alger pour noter que « de telles compétences ne peuvent accepter des injonctions ». Il s'est demandé où étaient « ces avocats lorsque pendant des années, des gens passaient des mois en prison sans être jugés, de nombreux dossiers disparaissaient et lorsque l'anarchie régnait en maîtresse à la cour d'Alger. Aujourd'hui, les juges sont pris à partie pour leur travail et leur rigueur ». Membre du bureau national du SNM, Youcef Amour a relevé que « lorsque des accusations sont portées, il faut avoir les preuves. Nous aussi nous voulons connaître les magistrats corrompus et ceux qui jugent sur ordre du procureur général. Nous comptons engager au nom du SNM une plainte, mais une fois que la section d'Alger aura décidé de la suite à donner à cette situation ». Intervenant « en tant que magistrat et non en tant que procureur général adjoint », M. Maïfa est revenu sur la situation d'anarchie qu'a connue la cour d'Alger pendant des années, avant que l'actuel procureur général ne soit nommé. « Il a suffi qu'une organisation soit instaurée, que les retards dans le traitement des affaires soient absorbés pour que les voix critiques s'élèvent. » Son collègue Missoum a été succinct et précis. « Il faut aller vers des actions de protestation contre ces graves dérives. » Messaoud Hadji, lui aussi magistrat au parquet, a estimé que « la nouvelle forme d'organisation du procureur général a mis fin à certains comportements, ce qui a dérangé beaucoup de personnes ».