C'est à partir du forum d'El Moudjahid que Djamel Aïdouni, secrétaire général du Syndicat national des magistrats (SNM), a répondu aux sévères critiques du bâtonnier d'Alger, Abdelmadjid Sellini, à l'égard de la justice. « Nous aussi, nous savons beaucoup de choses, mais nous voulons construire au lieu de détruire. Alors laissons le puits avec son couvercle », a déclaré M. Aïdouni, tout en refusant d'être plus précis en ce qui concerne le contenu de ce « puits ». A titre de rappel, Abdelmadjid Sellini a fait un véritable réquisitoire contre les magistrats, les accusant de ne pas maîtriser leurs dossiers et de répondre à des injonctions. Le bâtonnier d'Alger a remis en cause le travail de certains magistrats, en disant que souvent les procès-verbaux de la police judiciaire sont de meilleure qualité que ceux des juges. L'avocat a également indiqué que 80% des justiciables ne sont pas contents des décisions de justice. Autant de griefs que M.Aïdouni a rejetés en bloc, les qualifiant de « manipulations et de mensonges grossiers » avant de préciser qu'il n'a aucun contentieux avec la corporation des avocats, avec laquelle il a dit entretenir de bonnes relations. « Notre seul problème est avec le barreau d'Alger et nous ne savons toujours pas pourquoi », a lancé M.Aïdouni, précisant toutefois que l'indépendance de la justice a été une « préoccupation majeure du syndicat qu'il a défendue seul durant des années ». Le premier responsable du SNM a déclaré : « Pensez-vous que tous les magistrats ont l'oreille collée à leur téléphone attendant que quelqu'un leur dicte ce qu'ils doivent faire ? C'est vraiment impensable. Les juges agissent selon leur conscience et ne doivent avoir peur que de Dieu. Ceux qui sortent de ce cadre ne doivent pas rester parmi nous. Les magistrats constituent la seule corporation qui fait le ménage dans ses rangs sans aucun complexe et, d'ailleurs, parmi les membres du CSM se trouvent des avocats et cela ne nous gêne nullement. » Pour être plus précis sur les pressions que subissent les magistrats, un ancien député a cité deux exemples : le cas d'un procureur adjoint qui a saisi par écrit le président de la République pour se plaindre de la pression dont il faisait l'objet de la part d'un officier du Département du renseignement et de la sécurité et le cas de la plainte d'un maire à Relizane, contre la wilaya, qui s'est terminée par une décision en faveur du wali pour des considérations politiques. « Etes-vous en mesure en tant que syndicat de relever le défi et de faire face aux multiples pressions exercées par le pouvoir politique et militaire ? », s'est interrogé l'ex-député. Pour M.Aïdouni, le syndicat « a fait cavalier seul » pour « protéger » l'indépendance du juge, à travers « le combat » qu'il a mené pour l'adoption des deux lois organiques portant l'une sur le statut des magistrats et l'autre sur le statut du Conseil supérieur de la magistrature. « Ces textes fondamentaux sont restés bloqués pendant des années au niveau du parlement et personne ne nous a aidés pour les faire adopter. Aujourd'hui, nous ne disons pas que nous sommes arrivés, mais juste que nous avons réussi à arracher des acquis », a expliqué le premier responsable du SNM. Ce dernier est revenu sur les conditions dans lesquelles exerçaient avant les magistrats, sans équipements de bureau, sans voiture, sans logement, avec un salaire des plus bas, etc., pour terminer en mettant l'accent sur les moyens mis par l'Etat afin d'améliorer l'environnement dans lequel évoluent les magistrats, à travers non seulement leur niveau de vie mais aussi la modernisation des outils de travail. « Nous continuons quand même à revendiquer un meilleur cadre de travail, à travers la révision à la hausse des salaires. Une revendication que nous avons soumise au premier magistrat du pays, le seul habilité à prendre une telle décision. Nous attendons depuis et nous continuons à être à l'écoute de notre base », a déclaré M.Aïdouni. Pour ce qui est de l'éventuelle révision du statut du CSM, pour corriger certaines failles comme le cas où un des membres arrive à l'âge de la retraite, sans que son mandat expire, ou encore pour que le CSM ait un droit de regard sur la carrière des chefs de cour, le conférencier a affirmé : « Le statut n'est pas le Coran. Il est appelé un jour ou l'autre à être revu. Néanmoins, il est important de savoir ce que nous voulons. Faut-il un CSM avec plus de représentants de la société civile et moins de magistrats ou l'inverse ? Ce sont des questions que nous nous posons, mais aucune réponse n'est pour l'instant prête. Certains ont même émis l'idée de passer par une élection pour la désignation des présidents de tribunal et de cour, mais qui seront les électeurs ? N'allons-nous pas nous diriger vers la justice des plus riches en adoptant un tel mécanisme ? » Abordant la question relative au volume des affaires traitées par les magistrats (plus de 200 affaires par audience), le syndicaliste a tenté de nuancer un peu ces affirmations en notant que le magistrat n'est pas tenu de les juger toutes en même temps. « Seules les affaires des détenus doivent être traitées le jour même, les autres sont des délibérés ou de petites affaires qui peuvent attendre », a-t-il expliqué.