- Avec le ministère de la Santé, vous avez réalisé une enquête nationale auprès des ménages sur la petite enfance en Algérie. Qu'en est-il exactement ? Les résultats de l'enquête seront communiqués en juin prochain par le ministère de la Santé. L'enquête porte sur 32 000 ménages et concerne plusieurs secteurs : santé, nutrition, mortalité, travail des enfants... Le but est de mettre en place, à la lumière des résultats, une stratégie intégrée de la petite enfance de 0 à 8 ans. Nous nous sommes intéressés au niveau d'instruction des parents, à leur niveau social, au milieu familial et géographique…, des éléments déterminants dans les disparités constatées chez les enfants. En attendant les résultats définitifs, un travail intersectoriel est lancé avec les ministères de l'Education, de l'Intérieur et des Collectivités locales, des Affaires religieuses, de la Solidarité nationale et de la Santé. Nous menons, en quelque sorte, un plaidoyer auprès de ces partenaires pour les convaincre d'investir plus dans le domaine du préscolaire. Actuellement, et avec l'appui de l'Unicef, une opération-pilote a été lancée dans vingt classes préparatoires à Alger, Adrar, Tindouf, Tipasa, Djelfa et Oran. Ces classes ont été dotées d'un mobilier scolaire, audiovisuel et de kits récréatifs et ludiques répondant à des normes internationales. Dans le cadre de la même opération, nous projetons de former des éducateurs.
- Selon des pédagogues, les enseignants qui prennent en charge les classes préparatoires doivent être formés spécialement pour ce niveau. Or chez nous, cela n'existe plus !
L'encadrement n'est pas formé pour prendre en charge cette tranche d'âge spécifiquement. Les infrastructures ne sont pas non plus équipées (décoration, normes de sécurité, ndlr) de manière à recevoir la petite enfance. Il en est de même pour le mobilier, alors qu'il faut un matériel particulier. En Algérie, nous constatons que rien n'est disponible dans le secteur public avant l'âge de 5 ans. C'est avec le préscolaire et particulièrement le préparatoire que l'Algérie peut gagner sa bataille de la qualité de l'enseignement.
- Quel est l'état des lieux des classes préparatoires aujourd'hui ?
Le ministère de l'Education avance un chiffre de 72% d'enfants inscrits dans les classes préparatoires. Nous n'avons pas pu vérifier sur le terrain si réellement ce nombre est pris en charge. Ce qu'il faut savoir, c'est que le reste des non-inscrits, soit 28%, n'y a donc pas accès ! Par ailleurs, de quelle qualité d'éducation les enfants scolarisés bénéficient-ils ? Le bureau de l'Unicef s'est engagé à élaborer une stratégie nationale intersectorielle sur le développement intégré de la petite enfance (0-8 ans). Une étude est déjà engagée. En collaboration avec le Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle, nous avons lancé une étude dans 1200 ménages à travers 11 wilayas (Alger, Oran, Djelfa, Béchar, Adrar, Annaba, Sétif, El Tarf, Mostaganem, Naâma et Relizane) afin de connaître la situation de l'éducation, de la protection et la santé de la petite enfance. Les résultats seront rendus publics en juillet.
- Jusqu'où comptez-vous aller dans votre plaidoyer pour l'institutionnalisation du préparatoire en Algérie ?
Nous allons seulement encourager une stratégie pour mettre sur les rails le préscolaire. Pourquoi ne pas rendre obligatoire le préscolaire ? Nous allons insister sur les impacts positifs de cette étape sur les enfants et leur avenir. Il faut savoir qu'il y a 17 dollars retournés pour un dollar investi dans le préscolaire. Le calcul est simple. Un élève ayant suivi le préscolaire dans les normes ne doublera pas, donc on fera des économies sur la mobilisation d'enseignants pour les classes de doublants (moins de salaires, moins de classes occupées, moins de transport et de cantines). Au bout, une réussite professionnelle signifie création d'emplois et, surtout, pas de délinquance et de déperdition scolaire. Il faut également savoir que tout se passe avant l'âge de 3 ans : 80% du cerveau se construisent à cet âge. Plus tôt l'enfant ira au préscolaire et vers le savoir, plus il réussira dans son cursus scolaire. L'accès à la petite école est synonyme de réussite professionnelle.
- Le ministère de l'Education dit être confronté au manque d'infrastructures pour ouvrir ces classes.
En effet. Mais nous avons constaté la fermeture de 480 crèches et jardins d'enfants à l'échelle nationale parce que le ministère de l'Education et celui de la Solidarité n'ont pas réussi à trouver un terrain d'entente sur leur gestion et l'équipement. Il faut absolument investir sur les enfants de 3 à 6 ans.