J'apprends du fond de ma prison, après 23 mois de détention, qu'une organisation mondiale d'écrivains me décerne un prix en ma qualité de journaliste emprisonné pour ses écrits. La même distinction est allée à l'écrivain turkmène, Rakhim Esenov, coupable, aux yeux des autorités de son pays, de contredire, par ses écrits, la vérité officielle. Plus qu'un prix, fut-il aussi prestigieux, je partage avec notre confrère turkmène le « tort » d'être journaliste et le sort de vivre, l'un et l'autre, sous la férule de régimes si peu respectueux de la liberté d'expression. Ceux qui ont pris la décision de m'enfermer, après avoir tenté de m'avilir, et ceux qui ont trempé dans l'ignoble machination en ont pour leurs frais. Cette distinction internationale, la seconde, plus qu'elle ne m'honore, les disqualifie. J'en suis triste parce que l'Algérie mérite certainement mieux que ces classements peu glorieux qu'elle collectionne, pour cause de mauvais traitements infligés à ses journalistes. Je devais, paraît-il, expier les péchés d'une presse jugée trop remuante. Par ma punition, je devais, paraît-il, racheter mes « congénères » et peut-être leur épargner les foudres des seigneurs. Hélas, mon châtiment n'a pas apaisé les colères. Pas plus que les louvoiements et les reculades, d'ailleurs. Et de ma prison, j'ai tout le loisir de compter les coups répétés portés à cette presse, hier adulée pour son courage, aujourd'hui traînée dans la boue à cause de ce même courage. Triste époque où les prédateurs ont cru venu le moment de sonner l'hallali : inflation de procès contre les journaux et multiples condamnations à la prison ferme, mises sous contrôle judiciaire et emprisonnements de journalistes... Aucune chance ne doit être laissée à la presse. Il faut l'achever. Ainsi en ont-ils décidé. Faut-il pour autant désespérer, accepter de disparaître ? Faut-il renoncer à informer, à dire et écrire librement ? Non. Aujourd'hui plus que jamais, non ! Cette flamme qui nous a fait, hier à l'heure de la lame assassine, relever les défis et donné la force de croire et de continuer, nous anime toujours. Elle peut vaciller, jamais s'éteindre. J'en suis convaincu. J'ai raison de croire, comme vous avez raison de croire et de continuer : la presse algérienne sera libre ou ne sera pas. Le monde nous regarde. Il comptabilise leurs abus et nous donne raison. Ce prix est le nôtre. Mohamed Benchicou El Harrach, le 25 avril 2006