En l'absence d'un système national d'assurance contre le terrorisme, la grande majorité des entreprises demeurent non couvertes. Sauf quelques rares exceptions, la garantie contre les risques dits extrêmes, tels que les ATS (Actes de terrorisme et de sabotage) n'est toujours pas intégrée dans les contrats d'assurance commerciaux standards. Des mécanismes assurantiels appropriés existent dans plusieurs pays qui, comme l'Algérie, ont déjà été exposés à des attaques terroristes de grande ampleur. Trois d'entre eux, à savoir l'Espagne, Israël, et le Royaume-Uni, confrontés au terrorisme depuis plusieurs décennies, avaient mis en place des dispositifs de couverture bien avant les attaques du 11 septembre 2001. L'Allemagne, l'Australie, les Etats-Unis, la France, les Pays-Bas et la Russie ont, eux aussi, instauré leur système national entre 2001 et 2003. Qu'en est-il de l'Algérie ? Malgré l'attaque spectaculaire dont a été la cible, en janvier dernier, le complexe gazier d'In Amenas, un des sites stratégiques du pays, les pouvoirs publics ne semblent pas prêts à prendre conscience de l'ampleur de la menace terroriste contre les installations industrielles. Aux yeux des professionnels des assurances, l'instauration d'un mécanisme standard d'assurabilité susceptible de s'appliquer à certaines grandes entités économiques, particulièrement celles relevant des secteurs stratégiques, n'est pas à l'ordre du jour, du moins pour l'instant. Sonatrach, ArcelorMittal et les autres Pour preuve, de nombreuses grandes entreprises algériennes, à l'image de Sonatrach ou du méga complexe sidérurgique ArcelorMittal El Hadjar, estiment peu indispensable de s'auto-assurer contre les risques ATS. «Le risque terroriste est exclu de nos contrats commerciaux d'assurance et ce n'est pas une spécificité de Sonatrach ni une exclusivité algérienne. Se couvrir contre le risque Actes de terrorisme et de sabotage (ATS) reviendrait excessivement cher à notre compagnie. De plus, nos sites sont suffisamment sécurisés, d'autant plus que les mesures et moyens de sécurité anti-terroristes ont été renforcés au lendemain de l'attaque de Tiguentourine», fait savoir sous couvert de l'anonymat une source proche de la Commission de gestion des contrats commerciaux d'assurance auprès de Sonatrach. En conséquence, à défaut d'une couverture d'assurance contre le risque ATS, le recours aux fonds propres de l'entreprise, donc de l'Etat, pour faire face aux lourdes pertes et dommages occasionnés par l'attaque d'In Amenas, est incontournable. Même constat auprès d'ArcelorMittal, dont la valeur approximative des installations, c'est-à-dire le potentiel assurable, s'élève à quelque 650 millions de dollars. «Ce risque (ATS) n'est pas couvert dans nos contrats d'assurance», a fait savoir Mohamed Guedha, directeur de communication et d'administration générale. Sans s'étaler sur les raisons, il précisera toutefois que pour couvrir l'ensemble des installations d'El Hadjar, ArcelorMittal paye une prime d'assurance globale de l'ordre de 13 millions de dollars, l'assureur étant la Compagnie 2A. Interrogés à ce sujet, les responsables d'organismes d'assurance ont relevé à l'unanimité les conditions d'assurabilité des risques extrêmes, tels que le terrorisme à grande échelle, qui ne sont pas réunies pour le moment. De leur point de vue, «le caractère imprévisible de la survenance des attaques terroristes, quelle qu'en soit l'ampleur, est une contrainte qui pèse, car susceptible de rendre aléatoires les modalités de calcul ou d'estimation du risque potentiellement assurable ». Les assureurs soulignent aussi au passage que «même si l'entreprise venait à se protéger contre des événements aux conséquences importantes, de l'envergure de l'attaque d'In Amenas, l'indemnisation des pertes assurées peut être fatale pour l'assureur. Il serait dans l'incapacité de la supporter à lui-seul. Cela le conduirait inévitablement à la ruine». La réassurance problématique Le recours au marché international où pourrait être cédée une partie du risque, à travers la réassurance, permettra-t-il de contourner cette contrainte ? En réponse à cette question, les opérateurs interrogés, chiffres à l'appui, ont tenté de faire ressortir les embûches que posent les réassureurs étrangers aux compagnies d'assurance intervenant en Algérie. En guise d'illustration, notre source fait savoir que «la valeur totale d'assurance de Sonatrach est de 35 milliards de dollars, toutes installations confondues, y compris les canalisations. Le taux actuellement appliqué par les réassureurs étrangers en matière de risques ATS varie entre 0,15 P/mille et 0,30 P/mille. Pourtant, si Sonatrach décidait de souscrire cette garantie, elle aurait à payer entre 5,25 millions dollars et 10,5 millions dollars. Néanmoins, suivant les conditions d'assurance infligées par les réassureurs étrangers, en cas de sinistre majeur, le montant que pourrait percevoir Sonatrach, au titre d'indemnisations, ne dépasserait jamais 25% de la valeur totale d'assurance. Lequel taux, renchérissent nos interlocuteurs, est assorti d'une franchise de 10%, représentant le montant non payé par le réassureur, donc à la charge de l'assuré. Les entreprises algériennes ne sont, en réalité, assurées qu'à 15% à peine de leur valeur totale d'assurance». Se gardant de commenter le cas particulier de Sonatrach, Djamel Taleb, directeur régional (Est) de la Compagnie algérienne d'assurance et de réassurance (CAAR) s'est, à ce propos, contenté de dire : «A la CAAR, l'ATS est une garantie annexée au contrat incendie-explosion. Elle est systématiquement octroyée dans le contrat principal. Certes, elle est facultative mais l'assureur doit être assez persuasif. Il a un important rôle à jouer pour convaincre son client à adhérer à ce type de garantie. En ce qui concerne l'assuré, c'est-à-dire l'entreprise, la couverture contre le risque ATS est une question de management et de bonne gouvernance.» Et le responsable d'insister : «Tous nos contrats incendie-explosion sont accompagnés de la garantie ATS.La quasi-totalité de nos clients, comme le Groupe Ferphos ou le port, la souscrivent. Je dois ajouter qu'en cas de sinistre majeur, l'indemnisation est difficile à supporter par la compagnie d'assurance. Le risque est, de ce fait, placé sur le marché international de la réassurance.» Revenant sur le risque Sonatrach, le représentant de la CAAR, fera tout de même savoir que «ce risque est composé de plusieurs lots. La CAAR, gère exclusivement le risque automobile. Le risque industriel est confié à la CASH. La CAAT s'occupe, quant à elle, de la responsabilité civile (RC)». Quoi qu'il en soit, la vulnérabilité des sites industriels stratégiques face à la menace terroriste demeure réelle. Laquelle problématique nécessite une prise en charge effective.