Dans cette vidéo, Tahar Ouatar dit de la mort de Tahar Djaout que c'est une perte pour la France. Cet arabophone mauvais écrivain ajoutait : «Ceux qui écrivent en français font des guides touristiques.» C'était il y a 20 ans. Le 26 mai 1993, Tahar Djaout avait été assassiné. Ce n'est pas Tahar Ouatar qui l'a tué, mais il est évident que ses propos avaient pour but d'enterrer avec l'homme son œuvre et d'éliminer ceux qui, comme le poète assassiné, écrivaient en français. Nous reconnaissons bien dans les paroles sinistres de cet homme, qui prétend être en relation avec la littérature, la folle exigence de représenter exclusivement l'Algérie de certains plus Algériens que d'autres. En relisant ces mots, j'ai senti remonter en moi toute la tristesse, pour ne pas dire la détresse de notre jeunesse ostracisée par les représentants de la nation et des grandes causes. Personne n'était assez algérien pour eux. Nos vies ont été broyées par des surenchères arrogantes sur l'identité. J'ai souvent comparé ces super-nationalistes aux mangeurs d'artichaut, arrachant frénétiquement les feuilles et tremblant d'atteindre le cœur. La vérité de l'Être-algérien. Les premières feuilles furent les bourgeois, puis les citadins, puis les francophones, puis les berbérophones, puis les femmes, les jeunes, etc. Allant même dans un élan autodestructeur jusqu'aux cadres de la nation. Récemment, une espèce de feuille nouvelle, les chrétiens et les évangélistes. Quant aux homosexuels, ils n'existent pas, n'en parlons pas. A la fin, on saura, on le sait déjà, que le cœur n'existe pas, c'est un espace vide. Qu'est-ce un pays, une culture, un peuple si on les élague sans fin ? Vous allez me dire que j'en fais trop et qu'il ne s'agit que de mots. Justement. Nous vivons dans un monde de violence, cela tout le monde l'admet, mais peu se demandent pourquoi et comment nous en sommes arrivés là. Quand j'entends un politique bien mis de sa personne avec costume et cravate, un ministre, pourquoi pas, user de leur porte-voix pour assassiner verbalement tous ceux qui dérangent leurs plans, leurs ambitions ou leur petite cervelle – ce qui est le cas le plus courant – je ne peux m'empêcher de penser qu'ils arment les bras assassins. Car quand je vois avec quel mépris les institutions traitent les citoyens, quand je relis (par masochisme) les lois concernant les femmes, quand je vois les amoncellements d'ordures à l'entrée de mon marché en plein centre d'Alger que les usagers, dont moi, côtoient avec la science des cloportes, je me demande où commencent la violence et le crime. Je ne sais pas et ne croyez surtout pas que je veux diluer la responsabilité des assassins. Pourtant, comment ne pas penser que le crime vient de loin. L'auteur de cette oraison sinistre nous l'a rappelé. Mais il n'y a aucune manière de tuer le chant d'un poète.