Le fait que Robert Ménard soit le candidat du Front national dans sa ville de Béziers est révélateur que le rejet xénophobe a atteint désormais un seuil critique en France. A vouloir ferrailler à la télévision face à l'ancien président de Reporters sans frontières, l'écrivain Azouz Begag en a fait les frais. Explications. Lyon De notre correspondant Comment peut-on passer de l'extrême-gauche à l'extrême-droite ? Il faudrait poser la question à Robert Ménard, qui s'était engagé d'abord en politique avec la Ligue communiste révolutionnaire, puis a fondé la très humaniste association Reporters sans frontières, classée à gauche, avant d'en quitter la présidence, pour devenir un chroniqueur sulfureux après 2009 et finalement présenter sa candidature aux municipales de 2014 dans sa ville, Béziers, avec le soutien du parti d'extrême-droite, le Front national (FN). Un grand écart qui n'étonnera pas ceux qui ont suivi ces dernières années les interventions de Robert Ménard dans les débats qu'il animait, notamment sur I-télé, mais aussi sur RTL ou Sud-radio. Cette évolution vers la droite extrémiste est résumée en 2011 par la publication d'un pamphlet intitulé Vive Le Pen, du nom des présidents successifs du FN, Jean-Marie et sa fille Marine. En substance, le contenu de cet ouvrage était fait pour lui ouvrir les portes politiques par la case FN. C'est désormais chose faite, deux ans après, puisque l'ambitieux sera candidat en 2014, soutenu par ce parti raciste et xénophobe. Déjà, depuis plusieurs semaines, en guise de programme électoral, il expose ses idées de rejet de l'immigration. Ainsi, en février 2013, dans l'émission «Hondelatte dimanche», sur la chaîne numérique Numéro 23, il disait : «J'habite à Béziers, la présence musulmane dans la ville est massive pour les gens et elle est mal vécue.» Il enfonçait un peu plus le clou en affirmant que les musulmans étaient ressentis comme «une agressivité». «Quand on voit à la fin du Ramadhan un certain nombre de gens habillés de façon traditionnelle, cela choque. C'est ce que j'entends», concluait-il, relayant l'appel à la haine : «On n'est plus chez nous !» Sur le plateau, quelqu'un lui explique alors que le rejet était pareil un siècle plus tôt vis-à-vis des Italiens ou des Polonais. Robert Ménard rugit alors : «C'est pas pareil, ils sont catholiques, comme nous !» Un peu plus tard, il va plus loin dans sa détestation de l'islam, se masquant derrière «les gens qui pensent que l'islam va bouffer leur oxygène». Enfin, la banderille finale, assumée sans complexe : «Je trouve que l'islam ce n'est pas une religion sympathique, que le Prophète de l'islam n'est pas sympathique, le Christ, quand il plaide pour l'amour, ça me parle plus qu'un type qui fait la guerre et qui tue dans la deuxième partie de sa vie bon nombre de gens.» L'animateur de l'émission, Christophe Hondelatte, appuyé par une autre chroniqueuse extrémiste, Elisabeth Lévy, laisse passer, puisque l'objet de l'émission est la libre expression sur un récent sondage qui laisse entendre que 75% de Français ont des réticences envers l'islam. Cela permet de tout dire, même des énormités. Invité lors de cette émission comme «polémiste», pour la deuxième fois, l'ancien ministre, Azouz Begag, essayiste et écrivain, en a fait les frais. Lorsque Robert Ménard soutient que «dans un département comme la Seine-Saint-Denis, un enfant sur deux naît musulman», M. Begag, qui a rongé son frein durant les vingt premières minutes de débat, ne tient plus. Il réagit en lui demandant d'où il tient ça, sachant que les statistiques ethniques ou religieuses n'existent pas, car illégales. L'ancien ministre de l'Egalité des chances a quelques éléments d'appréciation sur le sujet. «Mais c'est affreux ce que vous dites là, je vais alerter les autorités si on classe les naissances en juifs, catholiques, musulmans», dit-il, outré. Ménard ne désarme pas : «Lorsqu'on se prénomme Mohamed, on est bien musulman, non.» Suspendu d'émission depuis cet écart, M. Begag est scandalisé : «Depuis que Menard est candidat à Béziers, il a décidé de faire de l'islamophobie un cheval de bataille», nous confie-t-il. Cela ne passe pas, surtout lorsque ce propos sur la différentiation religieuse des bébés, tombe, selon lui, sous le coup de la loi. Il a porté le cas devant le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), qui devrait, nous dit-il se prononcer le 6 juin prochain. Pour Azouz Begag, «il y a désormais comme une sorte de léthargie, si quelqu'un avait dit qu'il naît plus de juifs que de chrétiens, le silence aurait-il été le même ? Je crois qu'il y a un syndrome Hortefeux et ses Auvergnats pour dire qu'il y a trop d'arabes». Il déplore «une espèce de léthargie, les gens ont perdu toute capacité d'indignation. On peut insulter des millions de musulmans sans être inquiété». Il estime que celui qui diffuse des propose haineux devrait être rappelé à l'ordre. L'équipe de Christophe Hondelatte nous explique cependant que l'interruption de la présence de M. Begag dans cette émission hebdomadaire n'a rien à voir avec sa pique à Ménard, estimant qu'il n'a pas «le ton qui convient». Qu'est-ce que cela signifie ? On nous renvoie vers le patron, M. Hondelatte qui, en réponse à notre SMS répond simplement : «Aucun intérêt pour cette histoire. (…) les chroniqueurs tournent (…) bref, fausse polémique.» M. Begag garde le sentiment d'avoir été utilisé «derrière le masque de la diversité» qu'il représente. En tout cas, il aura démontré que Robert Ménard, pour sa campagne municipale, aura beaucoup de canaux pour exprimer son idéologie dévastatrice.