Il se trouve toujours quelqu'un dans la classe politique américaine pour contredire le président George W. Bush au sujet de la situation en Irak. Ainsi en est-il de l'influent sénateur démocrate Joseph Biden, candidat potentiel à la présidentielle américaine de 2008, qui vient de suggérer d'appliquer à l'Irak une solution de type bosniaque, avec la formation de régions semi-autonomes. « L'idée, comme en Bosnie, est de maintenir un Irak uni en le décentralisant, et en donnant à chaque groupe ethno-religieux - Kurdes, sunnites et chiites - un espace pour gérer ses propres affaires, tout en laissant le gouvernement central gérer les intérêts communs », fait valoir M. Biden dans une tribune publiée par le New York Times, co-écrite avec Leslie Gelb, président émérite du Conseil des relations étrangères. Une manière toute particulière de célébrer le troisième anniversaire de la guerre en Irak, décrétée par George Bush, alors même que le pays s'enfonçait dans une situation qu'il n'avait jamais vécue auparavant, avec des guerres suscitées notamment par la montée du communautarisme, amenant les spécialistes à mettre en garde contre l'éclatement de l'Irak. Ce qui, soit dit en passant, rapproche du point de vue du sénateur américain, rappelant en cela, la formule appliquée à la guerre en Bosnie à Dayton en 1995 par l'Administration du démocrate Bill Clinton. Un Etat membre de l'ONU a été ainsi morcelé en deux entités que tout opposait. Depuis cette date, la Bosnie n'est plus la même. Aux mêmes maux, les mêmes remèdes ? Pas évident du tout. Trois ans jour pour jour après l'annonce par George W. Bush de la fin des « principales opérations de combat » contre le régime de Saddam Hussein, devant une bannière proclamant « Mission accomplie », MM. Biden et Gelb estiment donc, qu'« il est de plus en plus clair que le président Bush n'a pas de stratégie de victoire en Irak ». Pour les deux hommes, qui donnent peu de chances au prochain gouvernement d'unité de mettre fin aux « violences intercommunautaires », un fédéralisme approfondi est la meilleure solution. L'Irak serait divisé en trois régions autonomes, avec un gouvernement central à Baghdad, chargé uniquement de la défense des frontières, des affaires étrangères et des revenus du pétrole. « Baghdad deviendrait une zone fédérale, et les régions densément peuplées avec des populations multi-ethniques seraient protégées à la fois par une police multiconfessionnelle et internationale. » « Certains diront qu'aller vers un fort régionalisme conduirait au nettoyage confessionnel, mais c'est déjà ce qui se passe, de plus en plus nettement », écrivent MM. Biden et Gelb. « D'autres diront que cela conduirait à la partition, mais un éclatement est déjà en cours. Comme en Bosnie, le système fédéral fort est un moyen viable d'éviter ces deux dangers », estiment-ils. LAujourd'hui, le nombre de militaires américains morts en Irak depuis l'invasion du pays en mars 2003 atteint 2402, selon un décompte établi à partir des chiffres du Pentagone en date du 29 avril. Dans le même temps, plus de 35 000 civils irakiens ont été tués, près de 14 000 familles déplacées et les services publics de base (eau, électricité...) sont toujours inférieurs à leur niveau sous l'ancien régime. « Les autorités américaines et les responsables irakiens ont manqué à leur devoir envers le peuple irakien », a regretté lundi le député kurde Mahmoud Osmane. « En tant que dirigeants, nous n'avons pas été capables d'apporter la sécurité ou les services essentiels à notre peuple », a-t-il ajouté. Les violences se poursuivent sur le terrain, en particulier depuis un attentat le 22 février contre le mausolée chiite de Samarra, qui a déclenché une série d'affrontements confessionnels entre chiites et sunnites faisant plusieurs centaines de morts. Les milices communautaires ou confessionnelles sont accusées par de nombreux responsables irakiens et américains d'être à l'origine d'une grande partie de ces violences. Pour sa part, l'armée américaine, qui déploie actuellement 132 000 hommes sur le terrain, a connu un mois d'avril meurtrier, avec la perte d'au moins 70 soldats, contre 31 en mars. Toutefois, et trois ans après, la violence continue d'ensanglanter quotidiennement le pays, où les tractations politiques vont bon train pour former un gouvernement d'union nationale. Des représentants des coalitions chiites et sunnites sont parvenus à un accord sur l'attribution des principaux ministères, a indiqué un membre de l'Alliance unifiée irakienne (AUI, coalition chiite). « Nous sommes parvenus à un accord pour répartir les ministères de souveraineté (Affaires étrangères, Défense, Intérieur, Finances, Pétrole) de manière équitable », a déclaré Salam Maliki, porte-parole du courant Sadr au sein de l'Alliance, sans donner davantage de détails, surtout en ce qui concerne la notion d'équité. Est-ce au prorata des voix, ou tout simplement les contraintes liées au consensus, ce qu ne va pas sans problème comme le soulignent les deux responsables américains dans leur étude, dont les conclusions sont partagées par de nombreux cercles tant aux Etats- unis qu'en Irak. Tout l'enjeu est là, avec cette question du fédéralisme qui est de fait appliquée dans le Kurdistan irakien notamment, où les groupes armés locaux - de véritables armées - ne sont pas considérés par leurs chefs comme des milices. Une manière de les soustraire à la loi qui prévoit leur désarmement. Les groupes chiites en disent autant. A qui alors, s'applique cette loi ?